Le mode de fonctionnement de ce roman est particulièrement intéressant pour la question de la fictionnalisation et de la mythification du 11 septembre. Le fait que la narration suit les errances de Brian Remy à travers ses trous de mémoire donne une vision interne des événements et de leur impact. Nous avons l'impression d'avoir un accès conscient et inconscient à la gestion du traumatisme causé par les événements. Leur représentation rejoint grandement la définition de l'événement par Derrida : la suspension de la compréhension. Remy ne porte aucun jugement sur ce qui s'est passé, il ne raconte pas les attentats, il ne prend aucune décision. Il se trouve dans le labyrinthe de sa perception et tente de mettre du sens dans ce qui se passe, il cherche à comprendre. Il affirme d'ailleurs vers la fin du roman qu'il n'y a que sur le site de Ground Zero qu'il a l'impression de pouvoir encore donner du sens aux choses.Les événements sont intimement liés à l'individu. L'événement historique s'imbrique dans l'événement individuel (les attentats sont liés à la vie personnelle et individuelle de Remy), qui lui-même est confronté à un contexte politique par la mission à laquelle Remy se trouve mêlé. Pour Remy, les attentats du 11 septembre signent le début de sa fin : il se retrouve au tout début avec une blessure de balle à la tête et ne se souvient pas de ce qui s'est passé, ce n'est que plus tard que nous apprenons qu'il a tenté de se suicider ; il maigrit, son état mental et physique se dégrade, il perd tout contrôle sur sa vie, il ne prend plus de décision. Ces attentats mènent à un autre attentat qui clôture le roman et entraîne la mort d'April. Remy venait la rejoindre. Toute l'activité de Remy durant le roman, qui est une tentative de contrer le terrorisme, n'aboutit strictement à rien puisqu'elle se conclut par un autre attentat suicide. La mort déclarée de Remy par son fils Edgar alors que Remy est encore en vie fait de lui un mort vivant dès le début du roman : Edgar raconte qu'il a perdu son père dans les attentats du 11 septembre. La tentative de suicide de Remy vient s'ajouter à cela : il tente de mettre fin à ses jours mais échoue, il s'enfonce un peu plus dans le chemin de la mort. L'état plus ou moins conscient dans lequel il est plongé, victime de l'attentat dans lequel April trouve la mort, finit de l'ancrer dans ce statut de mort-vivant, plus proche de la mort que de la vie. Toute la fin nous est racontée comme si c'était un rêve de Remy duquel les infirmières tentent de le réveiller à la fin de sa convalescence, en lui disant qu'il peut ouvrir son seul œil encore valide, mais Remy refuse, ne souhaitant pas se réveiller de ce rêve dans lequel il attend April.Les événements sont ainsi mythifiés en tant qu'élément apocalyptique signant, la fin du monde qui ne peut sortir du terrorisme, l'entrée dans une boucle destructrice qui n'aboutira qu'à sa fin, et le début de la fin de Remy, qui ne meurt pas physiquement, mais qui n'est plus maître ni de sa vie mentale, ni de sa vie physique à laquelle il ne parvient pas à mettre fin.La fictionnalisation et la mythification du 11 septembre passe également dans ce roman par le rapport à la ville. Par le biais d'une conversation avec un vieil homme qui aurait travaillé dans l'administration policière de New York, et avec qui Remy devait avoir rendez-vous le matin du 11 septembre, nous avons le portrait d'une ville qui ne peut qu'être destinée à devenir une cible pour le terrorisme. Le vieil homme raconte la violence quotidienne dans laquelle il évoluait lorsqu'il était en activité, le nombre de fois qu'il a souhaité déménager sans le faire, puis sa prise de conscience, un matin, que même lorsque la violence semble atteindre son apogée, et la ville sa destruction, celle-ci renaît tous les matins, avec le lever du soleil, dans une apocalypse sans fin.