13 septembre 2010

Palindromes

Par Bertrand Gervais
Bibliographie: 

Palindromes, le film de Todd Solondz de 2005, offre une version inédite de l’utilisation des attentats du 11 septembre 2001 au cinéma : celle d’une destinée toute faite, prête à être utilisée. Un tel usage renforce la signification des attentats comme mythe d’origine.  

Quand Aviva, l’héroïne de ce film (jouée par différentes actrices), arrive chez les Sunshine, famille de chrétiens fondamentalistes aux idées très arrêtées sur la religion et l’avortement (c’est une famille d’accueil où les enfants recueillis souffrent tous d’une maladie qui les a conduits à être rejetés par leur famille d’origine), elle qui est en fugue doit expliquer ce qu’elle a vécu. Elle décide, plutôt que de raconter la vérité – ses parents l’ont forcée à se faire avorter et elle s’est enfuie –, d’inventer de toutes pièces un récit pathétique. Elle aperçoit sur le mur une photographie des deux tours du World Trade Center et commence son récit : ses parents sont décédés dans l’effondrement des tours, elle a été hébergée par ses grands-parents. Ceux-ci sont décédés. Elle a été recueillie par des gens qui ont abusé d’elle, etc. On se croirait dans un conte des frères Grimm. 

Aviva s’approprie, le temps d’un bref récit,  cet imaginaire et sa force est telle que son récit extraordinairement stéréotypé persuade sans peine son public (Madame Sunshine et un de ses enfants). Il la place d’emblée et sans hésitation du côté des victimes. Il possède une crédibilité instantanée. Palindromes n’a rien d’un récit sur les attentats du 11 septembre, son discours porte avant tout sur l’avortement et, surtout, sur le mouvement pro-vie et ses actions hypocrites, voire terroristes (un des membres de cette famille tue des médecins pratiquant des avortements). Mais ce bref passage par les tours du World Trade Center montre l’efficacité symbolique du processus de mythification des attentats qui a lieu depuis dix ans.

Le 11 septembre est un récit partagé par tous et une ressource narrative d’une grande utilité puisqu’il permet en quelques mots à peine d’imposer un destin, hautement signifiant. Le fait qu’Aviva soit jouée par plus d’une actrice (sept incarnent l’héroïne) vient confirmer cet usage, puisque ce destin est partagé. Il est singulier, mais il apparaît comme un récit potentiel, offert à de multiples actualisations.