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Enseigner le 11 septembre?
C'était inévitable : le 11 septembre en tant qu'événement historique ayant façonné le passage de notre monde dans le XXIe siècle se devait d'être tôt ou tard inclus dans le cursus scolaire. En 2009, l'éditeur de matériel scolaire "Social School Studies Service" publiait un manuel intitulé September 11th Education Program destiné aux niveaux 6 à 10 (l'équivalent américain du cycle secondaire au Québec) et visant à présenter le 11 septembre en classe. Or on le sait bien, la matière transmise à l'école et la manière dont elle est enseignée constituent un maillon très importat dans la constitution d'une vision du monde conséquente, et corollairement d'une identité sociale forte. Dans le plus récent billet publié sur son blogue La main, le souffle, Annie Dulong s'interroge sur la nature et la portée de ce manuel d'histoire. Remplit-il un véritable rôle de diffusion de la connaissance en réinsérant l'événement dans la perspective d'une trame historique mondiale, ou traite-t-il l'événement dans sa dimension a-historique favorisant une vision statique et fortement idéologisée, celle des "bons américains" contre les "méchants terroristes"?
La page de blogue ici.
Le site web du manuel ici.
Photographies inédites : nouvelles images aériennes du 11 septembre
En vertu du Freedom of Information Act, le réseau ABC est parvenu à mettre la main sur près de 3000 photographies inédites prises le matin du 11 septembre 2001. Il s'agit d'images aériennes de la pointe de l'île de Manhattan prises par Greg Semendinger, un ancien détective du NYPD. Monté à bord de l'un des seuls hélicoptères à avoir reçu l'autorisation de vol, il avait pour mission d'évacuer les éventuels occupants des tours qui auraient réussi à parvenir sur le toit. Il en a profité pour capturer sur pellicule des images qu'il avait peine à croire réelles et qui encore aujourd'hui n'ont rien perdu de leur force évocatrice. De ces nombreux clichés, une douzaine a été sélectionnée par ABC pour être diffusée à grande échelle sur Internet.
Colloque Regards croisés sur le 11 septembre / Perspectives on 9/11
Le Laboratoire d'Études et de Recherche sur le Monde Anglophone (LERMA) de l'Université de Provence, en collaboration avec l'Équipe de Recherche sur l'Imaginaire Contemporain (Eric Lint), organise un colloque qui aura lieu les 15 et 16 octobre 2010 à Aix-en-Provence
Ce symposium portera sur le 11 septembre et son impact aux Etats-Unis, en privilégiant deux orientations : d’une part, la dérive des institutions sur le plan politique ; d’autre part, les enjeux et les défis de la représentation artistique.
1. Politique : dérives institutionnelles
L’effondrement des tours jumelles à Manhattan met un brusque coup
d’arrêt à l’atonie d’un mandat présidentiel entamé dans le doute, suite
à une élection fortement controversée. D’emblée, le statut du président
se modifie. Quasiment absent de la scène politique, il en devient le
centre et s’attache à imposer de lui-même une image de Sauveur. Cette
soudaine évolution n’est pas, dans un premier temps, de nature à
inquiéter commentateurs et citoyens. La prérogative présidentielle
s’exerce dans les moments de tension extrême et sa mise en œuvre est en
parfaite concordance avec une lecture lockéenne de la Constitution
américaine. Dès lors que la sécurité du peuple est en jeu, il
appartient au titulaire du pouvoir exécutif de transgresser les normes
formelles inscrites dans la loi fondamentale pour assurer le bien
public. Le consensus observé au lendemain de l’attaque s’inscrit donc
dans la logique d’un schéma institutionnel inauguré par les Fondateurs
et sanctionné par l’histoire de la nation. Drapé de son uniforme de
commandant en chef des forces armées, George W. Bush voit sa cote de
popularité grimper vertigineusement, et une simple résolution,
approuvée massivement par les deux assemblées, lui permet d’engager ses
troupes contre les bases d’Al Qaida en Afghanistan. La guerre contre le
terrorisme étendue à l’Irak, selon des modalités très équivoques,
accroîtra encore davantage la marge de manœuvre de l’hôte de la Maison
Blanche. La présidence deviendra impériale ; la dérive constatée se
fera au détriment des deux autres pôles du pouvoir et érodera les
droits individuels des citoyens américains. La spécificité de l’ennemi
terroriste permet de définir un nouveau statut, celui de « combattant
illégal », qui vide de leur substance les accords de Genève sur les
prisonniers de guerre. Des ressortissants américains se voient déniés
les garanties inscrites dans le huitième amendement (habeas corpus,
jury populaire), ce qui ouvre grand les portes du centre de détention
de Guantanamo. La pratique de la torture s’inscrit dans une dérive
populiste dont certains proches du président se font écho dans les
médias (John Yoo par exemple.) Le Patriot Act instaure de nouvelles
pratiques censées protéger le peuple américain et qui, de fait, sont
des instruments d’espionnage et de manipulation. Le colloque sera une
invitation à débattre de ces problématiques liées à la dérive
inquiétante de la branche exécutive. Nous donnons une liste non
exhaustive des questions qui pourront être abordées :
- Spécificité de cette dérive de la présidence, à l’aune d’autres crises vécues au cours de l’histoire américaine (Guerre de Sécession, Pearl Harbor etc.)
- Causes et étendue de l’adhésion populaire et médiatique à la politique de l’administration dans la période suivant immédiatement les attentats.
- Apparition progressive d’une opposition, formes prises par cette vague de questionnements.
- Réaction des différents pouvoirs institutionnels (Congrès, Cour Suprême) ainsi que des médias.
- Rôle joué par les lobbies dans la dérive institutionnelle et sa remise en cause.
- Attitude des grands partis face à l’activisme présidentiel.
- Conséquences possibles de cette crise sur l’évolution future des institutions américaines.
2. Représentations du 11 septembre : enjeux éthiques, défis esthétiques
Si, comme l’écrit Jay Parini dans son poème « After the Terror », « Everything has changed, though nothing has », quels sont les défis posés par l’attentat du World Trade Center en termes de témoignage et de mémoire, de traumatisme personnel et collectif, de représentations historiques et fictionnelles, et plus généralement de récits figuratifs et interprétatifs ?
Ce furent d’abord des poèmes, souvent intimes, puis des pièces de théâtre, alors que romanciers et cinéastes restèrent plusieurs années en suspens. Le protagoniste du roman de Ian McEwan, Saturday, s’interroge ainsi : « The times are strange enough. Why make things up ? » La fiction est-elle confrontée depuis le 11 septembre à une nouvelle ère. Le désastre peut-il être transfiguré en art, arrachant à la terreur de la jouissance ? Quelles peuvent être les fonctions de l’art dans un tel contexte ? L’art comme témoignage de l’expérience brute ; l’art comme forme de deuil et de guérison ; l’art comme moyen de donner un sens à la réalité ; l’art comme résistance ou comme collaboration aux discours politiques de la période ; l’art comme véhicule d’accès à l’émotion ou à la vision tragique ; l’art comme performance, répétant ou transcendant le traumatisme originel ; l’art comme vigie morale, veillant sur « the fellowship of the dead » (DeLillo)… ?
Le roman du 11 septembre ou de l’après 11 septembre est-il un « nouveau genre » ? Si oui, comment le définir, et en quoi consiste-t-il ? Le 11 septembre figure déjà comme toile de fond, cadre, sujet, procédé narratif, ambiance culturelle, esprit du temps, dénouement… dans de nombreuses productions de la décennie. Si, comme le fait remarquer le romancier Philip Beard, il est impossible d’ignorer « the ultimate elephant sitting in the middle of the room », peut-on dire que toute la littérature de l’après 11 septembre traite du 11 septembre, ou de la trace de l’événement, condamnée en quelque sorte à le confronter, que ce soit frontalement ou figurativement, in presentia ou in abstentia ?
Quelles formes prendra le « contre-récit » qu’appelle DeLillo pour contrer les ruines que le 11 septembre a laissées dans son sillage ? Dans un monde ébranlé, privé des consolations modernistes comme des ironies postmodernistes, quelles pourront être les métamorphoses de la littérature pour assurer sa survie ? L’ère du roman est-elle passée, comme le prétend V.S. Naipaul ? La nouvelle est-elle plus apte que le roman à rendre « la nature hallucinatoire » de l’événement, comme l’affirme Joyce Carol Oates ? Ou est-ce le roman graphique, la bande dessinée, la photographie ou le cinéma qui sont les mieux à même d’aborder l’événement dans son instabilité et de répondre au défi de l’innommable ? La fiction est-elle en mesure de rivaliser avec le pouvoir des images documentaires, ou celui de visions créatrices telle la mémorable couverture noire du New Yorker signée Art Spiegelman ? Ou est-ce le reportage non littéraire qui, s’étant approprié le territoire et les outils de la fiction, peut rendre à la vérité son dû, selon des modalités encore inaccessibles à la fiction ?
Les dilemmes posés par le 11 septembre incluent non seulement la difficulté/l’impossibilité de présenter ce qui ne peut l’être, mais le défi moral lié à l’élaboration de récits commensurables à l’événement, sans exploitation, trahison ou falsification. Se posent des problèmes de propriété, d’appropriation, de légitimité, de voyeurisme et de censure, tout comme de tensions entre présentations directes, frontales, littérales, qui mettent en cause l’obscénité de la monstration, et recréations plus obliques, indirectes, figuratives et symboliques. Dans ce contexte, quelles perspectives théoriques, notamment postcoloniales, peuvent aider à rendre compte des processus plus larges mis en jeu dans ce nouveau défi esthétique ? Entre continuité et rupture, quelle sera la marge d’évolution du récit ? Etant donné que la singularité la plus remarquable de l’événement tient à sa nature spectaculaire, les limites inhérentes au langage trouveront-elles une forme de dépassement dans les témoignages visuels ou d’autres interprétations artistiques de ce désastre ?
Le colloque sera l’occasion de réfléchir aux différents aspects de la relation entre éthique et esthétique autour de la question de la (re)présentation et de la recréation des événements du 11 septembre et de leur impact.
Les communications pourront se faire en
anglais ou en français (25 minutes maximum, afin de laisser une marge
pour questions et discussion).
Propositions : il conviendra d’adresser à Gérard Hugues (gerard.hugues@wanadoo.fr) pour le volet 1, ou à Sylvie Mathé (sylvie.mathe@univ-provence.fr) pour le volet 2, un résumé de moins d’une page, en dégageant les mots clés, accompagné d’un bref CV, d’ici le 15 mars 2010.
Comité scientifique :
Gérard Hughes (LERMA)
Sylvie Mathé (LERMA)
Richard Phelan (LERMA)
Sophie Vallas (LERMA)
Annie Dulong (ERIC LINT)
Bertrand Gervais (ERIC LINT)
Nouveau regard sur la journée du 11 septembre 2001 : 573 000 messages textes divulgués
Wikileaks, un site crédible de « whistleblowing » dédié à offrir mondialement un espace réputé incensurable, a annoncé avoir en sa possession une grande quantité de messages texte interceptés sur une période de 24 heures entre 3h a.m. le 11 septembre 2001 et 3h a.m. le lendemain. La source à l’origine de ces enregistrements n’a pas été révélée, mais les messages proviennent du secteur privé ainsi que de membres de diverses agences gouvernementales telles que le Pentagon, le FBI, le FEMA (Federal Emergency Management Agency) et le département de police de New York.
Le procédé utilisé par Wikileaks pour divulguer cette information est lui-même hors de l’ordinaire : le site a choisi de reproduire en temps réel, dans l’ordre chronologique d’émission, chacun des messages. La première ligne de texte a donc été émise à 3h a.m. le 25 novembre dernier, et là dernière à 3h a.m. le 26.
Cette remise en scène a permis d’envisager l’événement sous une perspective inédite. La quantité d’information est colossale et les analystes de tous azimuts auront beaucoup à se mettre sous la dent. Par contre, les conspirationnistes auront du mal à reprendre à leur compte cette fuite d’information, puisque son effet principal est de mettre en relief la confusion des communications et à souligner l’inefficacité de la réponse gouvernementale plutôt que de fournir la preuve de la présence d’une intention malveillante.
Le site de Wikileaks ici
La métaphore plus vraie que la réalité
L'auteur japonais Haruki Murakami, dont les livres sont traduits et lus dans le monde entier, déclarait récemment en entrevue qu'il avait le sentiment que les événements du 11 septembre n'appartenaient pas vraiment au monde réel : « To me, 9/11 does not feel like an incident that took place in the real world. Somewhere, there must be a world in which this didn't happen ».
Selon lui, les gens commencent à réaliser que les choses irréelles sont souvent plus tangibles que la réalité même et que les métaphores décrivant le monde post-Guerre froide peuvent être plus puissantes que n'importe quel récit réaliste. Son plus récent livre, 1Q84, dont la traduction anglaise se fait impatiemment attendre, aurait été inspiré par les cultes religieux dont certains adeptes glissent parfois jusqu'à commettre des actes tels que les attentats du 11 septembre 2001 ou l'attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995.
Source : http://www.reuters.com/article/lifestyleMolt/idUSTRE5AM0F520091123?pageNumber=1&virtualBrandChannel=0