Roman de l’après-11 septembre, Samedi dévoile l’ébranlement personnel, politique, social et affectif que l’effondrement des tours du World Trade Center peut provoquer chez une personne raisonnablement intégrée dont la vie familiale et professionnelle sont par ailleurs exempts de soucis majeurs. Le roman investit dans le détail les bouleversements induits par le 11 septembre dans la vie quotidienne, la psychologie individuelle, les relations entre les êtres. Centré sur une journée comme le Ulysse de Joyce, Samedi décrit les événements ordinaires d’une journée de congé, le samedi 15 février 2003, journée qui glisse peu à peu vers le cauchemar. De petits incidents surviennent dans la vie de Henry Perowne, neurochirurgien à Londres qui regarde la vie avec le louable souci de comprendre cette vie grâce à la logique scientifique, efficace, simple, répétitive, qui lui a permis de mener jusqu’à ce jour une vie heureuse et solide. Il observe, de son balcon, un avion en feu qui survole Londres et l’angoisse le saisit jusqu’à l’obsession, avec en arrière-plan le rappel des attentats new-yorkais et la difficulté à déchiffrer la vérité du mensonge médiatique et politique (nous sommes en pleine affirmation gouvernementale sur les armes nucléaires irakiennes). En ce jour de congé, qui est également le jour du retour de sa fille après 6 mois passés en France, le jour du match hebdomadaire de squash avec son meilleur ami, anesthésiste américain, et le jour d’une imposante manifestation pacifiste avant la guerre en Irak (plus d’un million de manifestants), la normalité de la vie de Perowne bascule. Dans un style méthodique et quasi chirurgical, McEwan investit les pensées de Henry Perowne tout au long des instants primordiaux de cette journée. La journée va chavirer lorsque, à la suite d’un accrochage mineur avec sa voiture, trois malfrats le menacent et qu’il reconnaît chez le meneur, les troubles d’une affection héréditaire et fatale : l’athétose. Jusqu’à la confrontation finale, on ne saura pas si le neurochirurgien choisira les nouvelles valeurs liées à l’esprit de revanche et le cynisme imposés par le temps de l’après-11 septembre ou bien s’il maintiendra son esprit critique dans les limites sereines et quasi paisibles de « l’honnête homme » et de sa certitude sensible d’une certaine continuité et stabilité environnées de dérèglements qui ne sauraient, peut-être, s’éterniser. Fasciné par sa propre mutation, par un mystérieux morcellement du moi, par ses ambivalences mais aussi par ses convictions profondes, Ian MacEwan étudie en une investigation très fine ce qui apparaît consumé et ce qui subsiste de valeurs éthiques, de respect et d’humanité dans un cheminement personnel soudain en crise. Crise sociale, intelligibilité d’un réel qui bouge et change, conscience de ces transformations, sensation d’un monde perdu, d’un passage dangereux, d’un moment de transition et d’affrontement, crépuscule et déclin d’un système de valeurs et d’une certaine éthique, nostalgie sans illusions, toutes ces directions narratives apparaissent discutées, questionnées et retournées avec un art du récit exemplaire. À ce questionnement foisonnant, l’auteur ne répond pas toujours, ou parfois renvoie dos à dos des réponses contradictoires (notamment au sujet de l’envahissement l’Irak) d’où surgissent de nouvelles possibilités d’interprétation, une forme de pensée qui dénonce les manques et les facilités. Beau roman, un peu long, un peu lent, ambigu, avec une écriture subtile et raffinée et qui pose intelligemment de bonnes questions.