On peut au moins penser que le travail de David Rees met en évidence les manipulations de l’opinion qui ont suivi le 11 septembre. C’est un exercice de désaliénation au présent, qui permet sans doute d’avoir un regard plus objectif sur l’événement lui-même.
Dévoilement des sens cachés, destinations orientées, chemins balisés du conditionnement, mensonges, désagrégation de tout sens moral sont les sentiers que les personnages de David Rees, figés dans leur bureau, parcourent et renversent en temps réel grâce au Web. Le sarcasme et une certaine densité de cynisme délivrent ainsi de la panique entretenue par les politiques et le lobby militaire. Le rappel à des réalités directes tout aussi urgentes et proches comme le scandale Enron réinstalle le spectre de la faillite sociale dans un quotidien miné par les discours sécuritaires et les théories du complot. La coexistence d’une guerre exotique et imagée et d’une autre guerre, sociale, larvée et fugitive, est démontrée par les liens signifiants articulés entre les différents lobbys qui instrumentalisent selon leurs implications le discours de la guerre. Constatation : la vertu inspirée de la lutte contre le terrorisme est exactement semblable à la corruption constatée sur le front intérieur avec l’affaire Enron.
L’apparition de Voltron, robot d’une série culte des années 80, sa rhétorique militaire fanatique quasi identique à celle de l’équipe de Bush, permet de démystifier férocement la nature effrayante de ce robot à l’esprit minuscule. Parodie grotesque, paroles qui se dévorent fermées sur elles-mêmes en prétentions insensées, moquerie dévastatrice, la nature inspirée et navrante du mensonge politique en cours se dévoile dans le grotesque. Voltron, symbole d’un état de guerre en soi, devient aussi menaçant pour les personnages des bandes que dans une guerre lointaine vécue à travers la télévision ; du bilan de sa terrible et ridicule capacité de nuisance jaillit soudain une vigilance nouvelle qui éclaire l’obstruction de l’illusion idéologique et révèle les limites d’un état de fausse conscience entretenu et substantiel. Dans un bureau de travail habituellement neutralisé par le statu quo, ces cadres moyens voient leurs comportements codés autour de la réalisation de tâches administratives, envahis par une rhétorique de guerre et de menace, de soupçon et de racisme, qui ne leur appartient pas en propre; le langage de cette rhétorique d’exclusion et de destruction guerrière sera détourné par eux à travers des jeux sur le langage. Ce processus de réappropriation ouvre au rétablissement de la vérité, il permet de déjouer les autres ruses langagières qui conditionnent l’état de guerre. La pratique essentielle du jeu de mot et la maîtrise de l’ironie annulent ou renversent la signification idéologique d’un état de siège visant à masquer la réalité de ce qui se trame. L’ordre brutal, qui conditionne la dévalorisation et l’appauvrissement de la lucidité et qui prenait possession de ces hommes et femmes est brisé ; il est démasqué par la fécondité du travail sur la langue et le rétablissement d’une lecture dialectique du monde, et des discours interprétant ce monde ; cette lecture encourage le lecteur à décoder lui aussi les faits réels et non les discours réifiants dont on les affuble.
Cette fécondité produit comme un cercle de lumière autour des situations contradictoires et aveuglantes des mensonges idéologiques confrontés aux réalités des guerres en cours ; l’ironie alterne entre tragique et comique. De cette ambivalence naît une situation narrative en trompe-l’œil : juxtaposition des attitudes figées des cols blancs, expressions d’un langage maniable comme une arme vertigineuse. De ce contraste naît ce « mauvais esprit » qui fait entrer un air libre et plus pur dans des bureaux à l’atmosphère confinée et qui exprime un bon sens populaire et le mouvement émancipateur de la conscience.