Si Let the Great World Spin est un roman qui porte la marque du onze septembre 2001, le rapport aux évènements qui y est développé est bien particulier. Plutôt que de narrer la tragédie, Colum McCann propose une relecture du passé teintée par l'effondrement des tours. On peut dire que le roman trouve sa cohérence grâce à un constat qui est posé quant à la nature de notre expérience du temps: il est possible, remarque McCann, de relire un évènement du passé, de lui donné une signification a posteriori. Plus encore, il arrive qu'un évènement soit si chargé, sémantiquement et émotivement, qu'il devient pratiquement impossible d'échapper à son emprise, celui-ci contaminant notre expérience du monde et notre compréhension de l'Histoire. Ainsi, si le cœur du roman se déroule le 7 août 1974, à New York, alors que le funambule Philippe Petit commet le «crime artistique du centenaire», cette journée est rapidement assombrie par l'ombre des tours qui, vingt-sept ans plus tard, se sont effondrées. La leçon de McCann n'est pas tant métaphysique que littéraire ou narrative: les faits marquants de l'histoire (ou d'un récit) ne sont intelligibles qu'une fois inscrits dans une suite évènementielle. Dans le cas du onze septembre, nous avons affaire à une tragédie d'une telle ampleur qu'elle teinte nécessairement notre compréhension de certains moments passés ou futur. Si, avant l'effondrement des tours, l'exploit de Petit représentait un acte d'une beauté et d'une témérité sans précédant, il est devenu aujourd'hui pratiquement impossible d'y penser sans l'associer à la figure de l'homme qui tombe, justement parce que Philippe Petit représente essentiellement l'homme qui n'est pas tombé. Let the Great World Spin est donc un roman choral où le point nodal est la performance de Petit, marchant sur un fil de fer tendu entre les deux tours du World Trade Center. Tous les personnages assistent, ou entendent parler de la performance de Petit. Ultimement, le dernier chapitre nous plonge dans une Amérique post onze septembre, et la jeune Jazzlyn, en 2006, se rappelle de sa mère, décédée le jour de la performance de Petit.