Dwight B. Wilmerding est conscient de l'omniprésence des clichés et de l'interchangeabilité des discours qui circulent autour de lui. Cela le prédispose à être ironique, et il le serait définitivement s'il ne souffrait pas tant de l'aisance avec laquelle il se joue des codes de la jeunesse new-yorkaise. Ultimement, il est amené presque malgré lui à s'adonner à l'autodérision, le détachement qui le caractérise se muant peu à peu en une forme de mépris de soi qui le pousse à souhaiter des changements radicaux dans son existence. C'est d'ailleurs cette ambivalence qui fait l'intérêt du narrateur d'Indecision, le premier roman de Benjamin Kunkel : «It felt so shameful and exciting, not knowing what to do with myself.» (p. 10)
Si l'existence de Dwight se déroule sous le signe de l'indécision, c'est peut-être parce qu'il est fondamentalement idéaliste. Il souhaite changer le monde tout en sachant que le monde ne change pas. Sa vie bascule pourtant lorsque Dan, son colocataire, lui propose d'expérimenter l'Abulinix, un nouveau médicament miraculeux qui promet de l'aider à vaincre l'état d'indécision chronique dans lequel il patauge. Cela devient pour Kunkel un prétexte afin d'explorer un éthos particulier de notre époque, celui de l'individu pour qui plus rien n'est sacré et pour qui la contingence de l'existence est un véritable fardeau. Et si le fait d'avoir été sous ecstasy lors des évènements du 11 septembre 2001 constitue le traumatisme fondateur de la crise existentielle de Dwight, cela lui permettra aussi de penser son malaise dans son rapport à l'autre, à la différence plutôt que dans l'indifférence. Il partira en voyage en Équateur où il fera la rencontre de Brigid, une femme qui l'amènera à redéfinir son rapport à l'existence, à la tension qui l'habite entre son détachement et son engagement.
Ce roman s'inscrit dans la vague post-ironique qui a été identifiée par certains commentateurs au lendemain du 11 septembre. Les évènements du 11 septembre en tant que tels figurent de façon marginale dans le roman, mais leur répercussion se fait sentir dans le regard qui est porté sur la réalité. La nécessité d'un projet existentiel, les questionnements sur les rapports humains, le refus de se complaire dans la mise à distance, le besoin de proximité sont quelques exemples de la façon dont se traduit, dans l'écriture, le choc qu'a pu représenter l'effondrement des tours pour Dwight (et aussi sans doute pour l'auteur). Il faut cependant être prudent: l'écriture n'émerge pas du 11 septembre, il n'y a pas de lien de cause à effet. L'influence est évidemment beaucoup plus ténue, complexe, elle se mêle à une foule d'autres facteurs qui ne doivent pas être négligés (par exemple, le mouvement de balancier qui semble pousser toute une génération de romanciers actuels à prendre ses distances de ses prédécesseurs postmodernes).