« Toujours à hésiter, à me dire que je pourrais répondre que s’il faut être quelque chose, je suis, c’est selon, globalement satisfait, ou radicalement malheureux, plutôt hésitant, observateur, transparent, invisible, écrivain (à une époque), et que, s’il faut vraiment faire quelque chose, ce que je fais c’est flâner, lire, réfléchir dans la mesure du possible, aimer certaines personnes et en détester d’autres, exercer aussi ma détestation sur le cynisme des gouvernants, la bêtise organisée, érigée en modèle dans notre société télévisuelle, sur l’état de la langue et de la pensée appauvries, aplanies par le verbiage médiatico-spectaculaire, la déliquescence des idéologies, la mise au ban des utopies. Parfois aussi j’aimerais me contenter de citer Lovecraft – mais je me retiens, de peur de paraître cuistre. « Ce que fait un homme pour gagner sa vie, disait-il, ne présente pas d’intérêt. C’est en tant qu’instrument réagissant à la beauté du monde qu’il existe. Je ne demande jamais à un homme ce qu’il "fait". Ce qui m’intéresse, ce sont ses pensées et ses rêves. » (p. 97 « Comme tout le monde j’avais vu en boucle les spectaculaires images des avions percutant les deux tours de Babel, et je ne pouvais m’empêcher de penser que, finalement, c’était assez réussi. L’événement était certes considérable, la souffrance des victimes absolue — comme toute souffrance, d’ailleurs, mais pas plus —, et je n’étais pas de ceux qui s’en réjouissaient, mais je trouvais cela, oui, assez réussi. De la part d’intégristes musulmans, me disais-je, quel admirable maniement du symbole biblique : le centre financier du monde occidental, le royaume absolu de l’argent-roi, la Babylone moderne, ces deux impassibles tours de verre dressées fièrement à la face des humbles et des miséreux, tout cela abattu par le feu du ciel, c’était à la fois l’orgueil de Babel et la turpitude de Sodome et Gomorrhe qui étaient châtiés en direct. » (p.91)