Terry Cochran se propose de repenser le rapport de l'individu au transcendantal à travers l'analyse de personnages qui représentent pour lui le kamikaze. Son travail a pour point de départ les attentats du 11 septembre 2001. Dans une société marquée par le postmodernisme et la mondialisation, Cochran souligne que le savoir et la foi sont tenus à distance l'un de l'autre et se développent de manière parallèle mais jamais comparée. L'auteur souhaite se pencher un peu plus sur le rapport au transcendantal, qui tend vers la foi, dans les actes d'attentats-suicide. Il questionne le rôle du sacrifice à l'époque contemporaine, l'insérant dans une longue tradition qui prend sa source notamment dans la Bible.
Dans une première partie intitulée « Préliminaires », il pose le contexte de sa pensée en établissant une distinction entre foi et savoir, entre transcendance et immanence, à travers notre conception du monde, de l'univers, de la terre en tant que globe. L'homme, selon lui, est poussé par la raison, par la quête de savoir, toujours plus loin, et la foi semble être mise en marge. Le contexte de la mondialisation accentue ce que l'auteur nomme « la déterritorialisation de l'imaginaire » : l'imaginaire, conçu comme ensemble de données culturelles partagées par un groupe, tend à quitter le domaine national pour s'étendre au domaine universel du globe. Cette déterritorialisation crée une seule et même communauté humaine qui tremble devant la menace d'une apocalypse. Mais cette communauté vient à être scindée par la menace de la bombe atomique, tout comme par celle de l'attentat terroriste, qui posent une différence entre bourreaux et victimes, différence inexistante dans le cas de catastrophes naturelles.
Cette première opposition est renforcée ensuite par une deuxième, celle entre le « techno-monde » que représente le « Nord planétaire », et une autre partie du monde où domine la force conceptuelle. La première est le domaine du savoir, la seconde de la foi. L'auteur étoffe cette idée par les analyses des attentats du 11 septembre qui ont été présentés comme des « assauts [qui] résultaient, d'une part, d'une action de technologie primaire (low-tech) et, d'autre part, d'une planification hautement conceptuelle (high-concept). » (p.29) L'action kamikaze (l'auteur ne limite pas cette appellation aux soldats japonais de la Seconde Guerre mondiale) du 11 septembre 2001 prend sa source dans le transcendantal : cette action n'avait pas pour but de renverser un régime, mais d'ébranler un mode de pensée et de vie.
Dans la deuxième partie de cet essai intitulée « Résidus de l'immanence », l'auteur commence par quelques réflexions sur la notion de filiation : la filiation à venir qui passe par l'écrit testamentaire du suicidé, la filiation passée avec les modèles bibliques de l'auto-sacrifice et de l'attentat-suicide. Cette étude de la lettre testamentaire instaure déjà la notion de rituel qui se développe par la suite dans le rapport au transcendantal. Dans le chapitre « sacrifice », l'auteur fait des larmes, puis de la coupe, les symboles de la communication avec le transcendantal et l'acceptation de son sort à travers le sacrifice. L'exemple christique est beaucoup utilisé tout au long de ce chapitre.
Avec la notion de sacrifice apparaît également quelques remarques sur la mise en scène qui va avec le rituel : l'auteur insiste sur la subjectivité, sur le fait que ce soit le « je » qui perçoit le transcendantal et qui interprète la scène à l'aide de son imaginaire : le rapport au transcendantal est conditionné par l'imaginaire. L'auteur établit un lien entre sacrifice, mise en scène et écriture qui est intéressant dans la conception contemporaine de l'attentat-suicide : le terroriste suicidaire adresse, par sa mort, un message à une communauté présente ou à venir. Ce message prend également une forme textuelle à travers le testament laissé par le suicidé.
L'exposition des deux modèles sacrificiels que constituent Socrate et le Christ permet une fois de plus à l'auteur de renforcer sa distinction entre savoir (Socrate) et foi (Christ). Mais il souligne que le terroriste suicidaire du XXIè siècle est un mélange des deux modèles :
« La figure du kamikaze crée un nouveau composé à partir de l'opposition entre les modèles christique et socratique, amalgamant la discipline et la maîtrise de soi avec l'appropriation d'une transcendance, avec le désir de transcender. » (p.146)
La posture du kamikaze contemporain est vue par l'auteur comme un retour du transcendantal dans un monde où l'individu est conditionné par la technologie et le savoir. L'acte sacrificiel du terroriste est un message, volontaire lorsqu'il y a lettre, involontaire s'il y a absence de lettre. Mais cette absence n'empêche pas les médias d'interpréter le geste, de relater l'événement et, par cette narration, de véhiculer voire de créer un message.