1 décembre 2010

Out of the Ruins, Lower Manhattan, Autumn 2001

Par Émilie Houssa
Présentation de l'œuvre
Description: 

Out of the Ruins, Lower Manhattan, Autumn 2001, de Jean Holabird se présente comme un carnet de croquis. Dans une boîte, un petit carnet à spiral regroupe 74 planches d’aquarelles sur papier canson noir. Les planches se succèdent par séquences, scandées par des extraits de textes ou de poèmes. Ces textes proviennent d’horizons diverses (époques, styles) et proposent des thèmes variés. S’il y un extrait de La Divine comédie de Dante, on retrouve également The City in the Sea d’Edgar Allan Poe. Le texte d’ouverture est Here is New York d’E.B. White (texte très fréquemment repris dans les ouvrages traitant des événements du 11 septembre). Comme l’expliquera l’auteure, ces textes sont avant tout des morceaux de souvenir, des traces d’une pensée qui l’a habitée, ou qui a habité ses proches durant les trois mois qui suivirent les attentats. Car le déroulement de l’ouvrage s’inscrit comme une chronologie, une captation, si ce n’est quotidienne, tout du moins fréquente (plusieurs dessins sont datés du même jour), des ruines du quartier du World Trade Center après les attentats. Le point de vue est très précis : l’auteure ne montre ni les attentats, ni les tours, ni Ground Zero. C’est sur le quartier autour, le quotidien des ruines qu’elle se concentre. Seule la première planche représente les tours du World Trade Center. Mais encore là, cette représentation reste « anecdotique ». On ne voit pas les tours mais un reste d’image (ou de peinture) sur un mur représentant les tours. À la suite de cette première planche une première série d’aquarelles montre le quartier avant les attentats. Avec le texte d’introduction, ces premières planches forment une sorte de préambule de l’ouvrage. Dans le reste de l’ouvrage les séries d’aquarelles représentent le quartier du World Trade Center à la suite de l’écroulement des deux tours. Les premières aquarelles montrent encore les tas de gravats sous les nuages de poussière, mais par la suite, l’artiste s’attachera surtout aux restes d’immeubles suspendus dans le vide et au travail des grues. Pour chaque planche, l’artiste indique le croisement de rue et la date de l’aquarelle, sans aucun autre commentaire. Les mêmes ruines reviennent plusieurs fois sous des angles différents (différentes dates, différents croisements de rues). Le recueil semble proposer une série d’images qui documentent le quotidien de l’artiste dans son quartier, quartier qui se trouve être celui touché par les attentats du 11 septembre 2001 à New York. L’ouvrage est sorti en septembre 2002, un an après les attentats. Il a été imprimé en deux versions (une noire à spirale, utilisée pour faire ce compte rendu, et une blanche reliée). Cette double publication semble être l’un des rares travaux de ce format (ouvrage publié) pour l’artiste qui, à l’exception de Vladimir Nabokov : L’Alphabet en couleur (illustrations de Jean Holabird, préface de Brian Boyd, Berkeley (Californie) : Ginko Press, 48 pages, 2005) ne semble pas avoir publié d’autres ouvrages.

Argument énoncé: 

i.    Extrait de la démarche proposéeDurant les trois mois qui suivirent les attentats du 11 septembre à New York, Jean Holabird s’appliqua à « documenter » les ruines de l’ensemble de l’aire touchée par la destruction des tours. Cette documentation passa « instinctivement », comme elle l’écrit elle-même, par la réalisation d’aquarelles. Au fur et à mesure des pages de Out of the Ruins, Lower Manhattan, Autumn 2001 se construit ainsi un panorama du quartier du World Trade Center immédiatement après les attentats. On y retrouve ce qui fut très peu documenté : le quotidien parmi les ruines, les « restes » des tours. Cette démarche est particulière et témoigne avant tout  de la vie même de l’auteure durant les mois qui suivirent les attentats. En effet, Jean Holabird, résidente du quartier du World Trade Center, documente, en documentant ces ruines, son propre quotidien post-11 septembre. Cette volonté de retranscrire « le quotidien des ruines » semble la motivation première de l’auteure, comme elle l’écrit dans son texte d’ouverture situé au début de l’ouvrage à la suite d’une première série d’aquarelles montrant le quartier du Word Trade Center avant les attentats :“For almost a month, we were in the Red Zone, fenced in with the smoldering ruins of the World Trade Center complex, and although I was never in what is called Ground Zero, its harrowing and hallowed influence was all around.As what I now see was an instinctive coping device, I drew. To me the buildings were still there, horribly changed, true, but as intrinsically a part of my daily life as they had been intact.I clung to the ruins because they seemed more familiar than the new and disoriented vistas and light patterns opening up all around the neighbourhood I’ve lived for twenty-seven years.”ii.    Texte de présentation de l’œuvreIl n’y a pas de texte sur la quatrième de couverture mais sur le site internet de l’éditeur (Gingko Press, Inc.), voici le texte qui présente l’ouvrage :“Soon after the attacks of September 11th, artist Jean Holabird set out to record the wreckage visible from the perimeter of Ground Zero, the former site of the World Trade Center. With what can best be described as an instinctive drive, she attempted to chronicle the ruins and their dismantling before this could be carted away. Her watercolors were completed in the three months immediately following the catastrophe. Out of the Ruins is a memorable collection in many ways, drawing on years of the artist's practice of her craft, the proximity of the subject matter to the artist's life, and the sense of civic duty and history that all come together to record this event for all time. Out of the Ruins: A New York Record is a hauntingly powerful collection of those paintings, accompanied by poignant fragments from enduring works of literature. Jean Holabird has lived just four blocks north of the World Trade Center complex for twenty-seven years. In documenting the aftermath of its destruction and removal, she has created a work that is of great historical value, unique testimony pertaining to a singular period in New York's history. It provides not only a human scale to the tragedy, but an alternative iconography to the frequently seen naked footage. The poetry and prose that Jean selected to accompany her paintings, were gleaned from snatches of memory, as well as from friends and family. The words speak of loss and bereavement, survival and defiance, disbelief and acceptance, and finally, love of New York City. From John Milton and Dante to Seamus Heaney and Frank O'Hara the words speak to the artist's experience, and through that, to the reader.Poetry by: Conrad Aiken, Hart Crane, Dante, Emily Dickinson, T.S. Eliot, Seamus Heaney, Sidney Lanier, Herman Melville, John Milton, Pablo Neruda, Frank O'Hara, Octavio Paz, Edgar Allan Poe, Percy Bysshe Shelley, Swinburne, James Thomson, E.B. White, Walt Whitman, Thomas Wolfe, William Wordsworth, Richard Wright.” http://www.gingkopress.com/_cata/_arph/ruins.htm

Place des événements dans l'œuvre: 

Ce qu’il est intéressant de noter, c’est justement le volontaire décalage que propose Jean Holabird par rapport aux attentats. Ce ne sont pas ici les « événements » du 11 septembre 2001 qui intéressent l’artiste mais leurs conséquences, à très courte échelle (temporelle et spatiale). Ce que semble documenter avant tout l’artiste, c’est son propre quotidien visuel et les modifications radicales qu’ont apportées les attentats. Jean Holabird documente ainsi l’après immédiat des attentats, une immédiateté spatiale et temporelle qui montre leur impact profond au cœur de la ville. L’œuvre n’est donc pas tant une réflexion historique, philosophique sur les conséquences des attentats du 11 septembre que le saisissement de « l’instant d’après ».

Aspect visuel: 
Documents et paratextes
Dédicace: 

« To my mother and my father »Seconde dédicace à la fin du livre:« This book is meant to honor those who perished in, and those whose lives have been forever changed as a result of, the attacks on September 11t. »

Entrevues: 

Sur le site de présentation de l’ouvrage, une entrevue de Dona Wiemann avec Jean Holabird est proposée. L’artiste y énonce son processus mais surtout ce qui a motivé sa démarche. En voici un extrait :“ Why do you use watercolors?JH: I had been working primarily in oil until I moved to Warren Street. The loft needed a lot of work, there was no room to set up large canvasses, so I used watercolor in the interim. Although I went back to painting in oils later, the watercolors had become more suitable for my work. I like them because they are portable.In January 2001, you began your project of painting ''a window a day''. Why did you choose windows as a subject?JH: The ''window a day'' project was devised as a discipline, to keep me looking and working. I have always been attracted to windows because they form a natural frame within which to compose. Many of my oils involve windows, too. After September 11 the scaffolding throughout the neighborhood provided ''frames'' or ''windows'' from which to capture the constantly changing vistas, but my need to draw was too intense to limit them to one a day.When did you start to sketch the first images?JH: On the first of my fleeting returns home to get my checkbook or something, I happened to have paper in my bag, I had to record my first sight of the ruins. The biggest problem was orientation; there was so much scaffolding about, not to mention machinery and various barriers, that the most familiar streets seemed like some other planet. The ruins became familiar, a point of reference, and came to represent, I see now, the complex itself.
 I had to stay on the perimeter because Ground Zero was off-limits to all but the workers, the government and the VIPs. I would skirt the ever-changing boundaries and seek what vantage points I could. I fantasized about getting in, but it felt wrong to me, and at some point I saw that I could only record my own experience.Would your pictures have been different had you gone into Ground Zero?JH: Yes, I think, very, but I'll never know how.Did you feel that as a neighborhood resident and affected citizen you had a right to view the destruction at Ground Zero first hand?JH: It would have been impossible to allow access to all those who witnessed the catastrophe first hand. I never stopped thinking about the human carnage, and I feel that it was right, after all, to limit entry. It is hallowed ground, and I don't think I would have been able to draw there anyway, it would have been too upsetting.You have made a chronological series of sketches that follow the tearing apart and removal of the rubble. There is no doubt that these pictures are beautiful even though they reflect something sinister. What are you trying to communicate?JH: I was really trying to communicate the reality of it to myself. I was particularly struck by the contrast between the intact buildings surrounding the site, and the destruction within. It had changed every time I went out to draw. I wanted to show that. Rather than denying the dark nature of the events, I saw irony in the awful beauty the ruins presented. At night, there was a ghastly light that was stunning and grim, yet somehow spiritual. I find the pictures haunting, even now. I can hardly believe that I saw what I saw. This is my way of letting you see it, too.”http://www.gingkopress.com/_zine/holabird/1ho1.htm

Impact de l’œuvre: 

L’œuvre semble toujours avoir une bonne visibilité sur internet. Les sites de références (en plus du site de l’éditeur) en font mention. Cependant, il ne semble pas y avoir eu d’autres éditions.

Pistes d'analyse
Pistes d'analyse: 

Out of the Ruins, Lower Manhattan, Autumn 2001, de Jean Holabird est intéressant à regarder comme un acte documentaire entre démarche personnelle et volonté historique. La démarche de l’artiste semble vraiment se concentrer sur ce point précis. Il n’y a qu’à regarder la suite de l’entretien publié sur le site de l’éditeur :“As I drew, snatches of poetry and prose would come to mind. I would take the sketches back to the loft and turn them into watercolors. I sent some to friends and family, just so they would have some idea of what it was like down here. 
There are close to 100 pictures in the series, and I chose 65 as the chronological record. I also preface the record with a few images from the ''window a day'' paintings made prior to September 11, to give a stronger sense of how irrevocably things changed. I put the pictures into a scrapbook, with some of the poems, and sent copies out at Christmas. This is a personal experience and an historic record. I want to communicate what I saw for this and later generations.”http://www.gingkopress.com/_zine/holabird/1ho2.htm  Comme pour tout acte documentaire, l’artiste s’attache à proposer un point de vue. La visibilité de ce point de vue passe, par exemple, par l’encadrement des fenêtres que l’artiste choisit de mettre en avant (notamment dans la première série d’aquarelles : celle de « l’avant » 11 septembre). Ce qui est avant tout consigné à travers ces planches, c’est l’atmosphère de « l’après ». Les aquarelles d’Holabird permettent ainsi de saisir les marques inscrites au plus profond du quartier et du quotidien, des traces, des ruines peu à peu effacées avec la reconstruction amorcée. Holabird documente ce temps suspendu entre « expérience personnelle et enregistrement historique », entre ce que tout le monde a vu et ce que peu de gens ont vécu : l’après 11 septembre dans le Lower Manhattan. Cette tension entre reste et disparition, expérience personnelle et Histoire, est synthétisée dans la dernière planche de l’ouvrage : une aquarelle représente une carte du quartier avec en légende les bâtiments détruits le 11 septembre, ceux touchés, les deux périmètres de sécurité (du 11 au 28 septembre, puis du 29 septembre au 14 décembre) mais aussi le loft de l’artiste. Le quotidien de l’artiste constitue le fondement de cette œuvre à valeur historique documentant « l’à côté » de ce qui était surmédiatisé (par exemple : le site de ce qui allait devenir Ground Zero, le recueillement des gens ou encore les policiers ou pompiers). La force documentaire de cette proposition, dédiée à ceux qui sont morts mais aussi à ceux qui ont vu leur vie à jamais changée par les attentats (seconde dédicace placée à la fin de l’ouvrage), est donc de toucher tous et chacun.