13 août 2007

Why We Fight

Par Jean-Philippe Gravel
Présentation de l'œuvre
Ressource bibliographique: 
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Prenant pour fil directeur le discours d'adieu à la présidence de Dwight Eisenhower, qui invitait à la vigilance concernant l'essor inquiétant du complexe militaro-industriel aux États-Unis au lendemain de la seconde guerre mondiale, Why We Fight tente d'examiner comment, dans un climat post-11 septembre, le complexe militaro-industriel est parvenu à étendre son influence dans toutes les sphères de la vie américaine de même que dans les visées impérialistes de sa politique étrangère. Ce faisant, le cinéaste appuie la thèse selon laquelle les guerres qu'ont menées les États-Unis à l'étranger depuis 60 ans (guerre de Corée, guerre du Viêt-Nam, guerres en Irak) ont été davantage motivées par le profit de puissants intérêts privés que par la défense des valeurs démocratiques.

Le film avance sur trois fronts. Le premier, historique, retrace les grandes étapes de l'émergence et de l'expansion du complexe militaro-industriel, de la seconde Guerre mondiale à aujourd'hui. Les attentats du 11 septembre y sont présentés comme un événement sans précédent qui aurait permis l'implantation d'une politique de domination militaire planifiée depuis longtemps, notamment dans le fameux «Project for the American Century», mais la récapitulation historique de Jarecki tend à inscrire ces derniers développements comme le résultat naturel d'une tradition d'intimidation militaire à l'étranger, notamment exemplifiée par l'explosion des bombes atomiques à Hiroshima et à Nagasaki. Le second front, quant à lui, tente de donner la mesure de l'implantation de l'industrie guerrière à l'échelle domestique, notamment en ce qui concerne ses retombées économiques, son financement important et les conséquences de ceux-ci dans la vie américaine (dépendance économique de certains états à l'industrie de l'armement, influence des campagnes de recrutement sur les jeunes américains défavorisés, etc), avant d'examiner comment les lobbys et autres «think tanks» réussissent à contrôler l'information et l'opinion publique en limitant l'accès des médias dans leur couverture de guerre tout en ayant recours à une rhétorique biaisée et certains mensonges politiques pour «rationaliser» l'actuel effort de guerre. Enfin, le film tente d'explorer les conséquences «sur le terrain» de cet état des lieux en employant des extraits de reportages qui montrent l'envers et le coût humain de l'«Operation Iraqi Freedom», de même qu'en recueillant le témoignage de citoyens américains (militaires, une future recrue, un père ayant perdu son fils dans les tours du World Trade Center) dont l'expérience personnelle et les opinions couvrent un registre nuancé qui passe du promilitarisme dogmatique à une certaine désillusion.

Sollicitant la participation d'une gamme étendue de «personnages» et de spécialistes (sénateurs, vétérans, enfants d'Eisenhower, une ingénieure de l'industrie de l'armement, des spécialistes de l'histoire militaire, le journaliste Dan Rather, un ancien employé de la CIA, une jeune recrue des forces armées, quelques «vox-populi» avec des citoyens américains et irakiens, etc), Eugene Jarecki se montre d'évidence soucieux de représenter la diversité (contradictoire) des discours et des opinions prononcés au sujet de la guerre et de ses conséquences. En dépit de ce recours au principe journalistique du «juste milieu», c'est encore la dénonciation qui domine le propos de ce film qui cherche à réactualiser les mises en garde exprimées par Dwight Eisenhower quelque cinquante ans plus tôt contre les intérêts qui minent les fondements démocratiques de la société américaine.

Précision sur la forme adoptée ou le genre: 

Long-métrage documentaire.

Précision sur les modalités énonciatives de l'œuvre: 

Comme la plupart des documentaires dont la stratégie de mise en scène consiste à dynamiser visuellement un contenu essentiellement obtenu par le biais d'interviews, le film de Jarecki s'étoffe d'archives visuelles nombreuses: archives de «newsreels», films de propagande (le film emprunte son titre d'une série de documents réalisés par Frank Capra durant la seconde Guerre mondiale), films corporatifs (cf. Halliburton), montages d'actualités et reportages sur le terrain (excursions en Irak, visite d'une «foire aux armements»), affiches et films publicitaires pour le recrutement dans l'armée, «Vox Populi», documents officiels imprimés (souvent falsifiés), spectacles télévisés patriotiques et articles de journaux, tandis que la trame musicale puise dans un vaste répertoire (contemporain et d'époque) dont l'utilisation commente de façon ironique ou empathique le contenu des images.