« [Transfuge – ]Alors, que signifie votre titre ? Ce que je voulais dire, c'est que ce n'est pas un hasard si tous les superhéros de bandes dessinées ont autant marqué la mémoire collective : ils incarnaient cette mythologie qui permet à une culture de comprendre ses fondements et donc de se renforcer. Mais, très vite après le 11 septembre, l'image des États-Unis a changé pour être celle d'un pays vengeur, sadique et vénal, un pays haïssable. La politique extérieure américaine n'avait pas profondément changé, non. Mais ce que j'ai senti, c'est que les Américains ont été vite persuadé qu'ils envahissaient l'Irak ou l'Afghanistan pour voler leurs ressources naturelles ou pour s'imposer, par la force brute, dans une région stratégique. Bref, face à une telle politique étrangère américaine, nous avions soudainement un sentiment de honte, de déshonneur, d'impuissance. Il est donc devenu très difficile de s'accrocher à cette image de gentils géants et de superhéros. Le titre de l'opéra de Wagner, le Crépuscule des dieux, se traduit en anglais par Twilight of the Gods. The Twilight of the Superheroes me parut donc une bonne adaptation du titre de l'opéra de Wagner – avec cette grandiosité ridicule, cette sentimentalité de bande dessinée et cette colère évidente. (…) [Transfuge] Dans la plupart des nouvelles du Crépuscule des superhéros, apparaissent en arrière-fond les Twin Towers s'écroulant, comme si la blessure du 11 septembre demeurait dans l'esprit de chaque Américain en permanence... J'ai écrit la plupart de ces nouvelles entre 2001 et 2005, une période cruciale pour notre pays. Depuis ma naissance, en 1945 jusqu'à très récemment, vivre dans ce pays signifiait vivre dans la stabilité et la sécurité. La middle class, s'épanouissant chaque jour un peu plus, était habitée par la supposition générale d'une prospérité invulnérable, aussi illusoire qu'ait pu être cette supposition. L'attaque cataclysmique de ces deux tours, choisies comme emblème graphique de la suprématie du commerce américain, a cristallisé quelque chose en nous. Non seulement le 11 septembre a représenté la violence et la colère qui pouvaient être dirigées contre notre pays, mais très vite, cette image a aussi justifié la violence et la colère de notre propre gouvernement. Il y a une grande colère à New York, ces dernières années, un réveil des consciences. La sérénité a disparu, et peut-être que c'est tant mieux. [Transfuge] Dans la première nouvelle du livre, vous décrivez la vie à New York après le 11 septembre comme une vie dans « un film de propagande »... Oui, chacun se donnait un mal fou pour se persuader que rien n'avait changé à New York. Cela demandait un effort considérable et, comme toute propagande générée par une source identifiable, cela fonctionnait : les habitants de New York ont ainsi suspendu leur esprit critique. » « Le grand entretien : Deborah Eisenberg », Transfuge, n°26, janvier 2009, pp.49-55