Séparé en trois parties liées entres elles par des thèmes et des récurrences symboliques, Specimen Days raconte le passé, le présent et l'avenir possible de la ville de New York. Un peu comme il l'avait fait précédemment dans The Hours, Michael Cunningham fait interragir les époques et les personnages en créant une forme de poème symphonique de la ville qui sans cesse meurt et renaît sous différentes incarnations. Dans la première partie, "In the Machine", on rencontre d'abord Lukas, un jeune Irlandais du Bowery qui reprend le poste de son frère Simon mort sur une chaîne de montage du début de l'industrialisation. Obsédé par la machine comme symbole double de la mort et de la toute-puissance, Lukas cherche à convaincre Catherine, la fiancée éplorée de Simon, de s'enfuir avec lui dans un monde plus sûr, en l'occurence (dans son imaginaire enfantin) un Central Park magique et lointain.La seconde partie, "Children's Crusade", se déroule dans un New York contemporain où, dans les remous du 11 septembre, Cat travaille comme policière à la tâche difficile de répertorier et évaluer les appels de tous les "détraqués", les "lunatiques", et d'en extraire les vraies menaces pour l'ordre public. Une cellule de crise est formée quand un jeune garçon se fait exploser dans les bras de sa victime et fait craindre le pire aux services de sécurité: "Just don't let it be random". Le pire serait en effet un acte gratuit, dépourvu d'un aspect privé rassurant."Like Beauty", troisième partie du roman, extrapole sur un futur lointain, alors que "Old New York" est devenue une attraction touristique sophistiquée où les gens paient pour se faire agresser dans Central Park. Les humains "biologiques" côtoient des androïdes ultraperfectionnés (Simon, le protagoniste, en est un) et des "Nadians", premiers réfugiés extraterrestres qui arrivent sur Terre en grand nombre en quête d'une vie meilleure que sur leur planète d'origine.En faisant ressurgir les mêmes noms, les mêmes questionnements chez ses protagonistes, Cunningham livre un récit en forme de spirale temporelle, qui s'intéresse plus à l'universalité des sentiments et à l'irréductibilité de l'humanisme qu'aux changements ponctuels et techniques qu'une société se targue de produire. La poésie de Walt Whitman, qui occupe une grande place dans le roman, vient ponctuer l'imaginaire des personnages et leur fait entrevoir une sagesse qu'ils sont à même de ressentir, à défaut de la comprendre rationnellement.