On devinera par le résumé en quoi le film souffre d'un certain déséquilibre : partant d'une situation peu banale mais bien ancrée dans sa géographie (un New York nocturne et peu « glamorisé ») et l'évocation convaincante des milieux respectifs des protagonistes, les dernières vingt minutes du film semblent troquer les subtilités d'un climat assez réaliste et tendu pour une scène d'explication à l'utilité discutable, une fausse résolution en forme d'idylle amoureuse et une explosion finale qui peut passer pour grotesque. Malgré cela, Sorry, Haters n'est pas dénué d'intérêt en ce qu'il revisite certains codes du suspense psychologique en accordant aux attentats du 11 septembre une fonction de ressort dramatique important. La figure du persécuteur féminin assez classique de par sa mythomanie, couplée à son isolement et ses frustrations tant personnelles que professionnelles, trouve dans les attentats du 11 septembre et dans le terrorisme en général non seulement un exutoire à son désœuvrement mais aussi une source d'inspiration pour ses jeux manipulateurs, particulièrement motivés par l'idée de «retaliation», d'obtenir la «juste rétribution» des torts qu'elle pense avoir subis. Quant à la figure de «l'innocent persécuté», Ashade, elle se montre ici d'autant plus vulnérable qu'elle est stigmatisée d'emblée par sa culture et son origine, sans compter sa maîtrise imparfaite de l'anglais, qui l'exposent d'entrée de jeu aux soupçons et à l'intolérance d'un pays d'adoption où il s'intègre difficilement.
Dans sa conclusion controversée, le film fait de grands efforts pour rassembler les protagonistes sous une enseigne unique, celle des «laissés pour compte du rêve américain»: le premier en condensant certains aspects négatifs de la condition d'immigré (discrimination, conditions précaires malgré une formation académique, problème de langue, valeurs incompatibles avec le cynisme ambiant, etc.) ; la seconde comme victime soucieuse de régler ses comptes avec un monde de richesse où elle ne peut occuper d'autre rôle que celui de spectatrice non participante. Le film emprunte d'ailleurs son titre d'une série télévisée à laquelle Phoebe prétend avoir contribué, sorte d'émission de télé-réalité basée sur l'étalage obscène des privilèges de la richesse. Sa présence intra-diégétique dans le film (extraits diffusés sur des écrans de télévision, chansons dans la trame sonore) dessert manifestement le portrait caricatural d'une culture mainstream aussi omniprésente que peu adaptée à la réalité de son public, d'autant plus qu'elle est vouée à la promotion de valeurs aussi inaccessibles que discutables. De là à associer les frustrations et la révolte du protagoniste féminin à celle du terroriste en position de rejet quant à l'omniprésente culture américaine, il n'y a qu'un pas, allègrement franchi : dans Sorry, Haters, les attentats du 11 septembre, déjà considérés comme une atteinte aux valeurs américaines et à leurs symboles, offrent, à ceux que ces valeurs ont laissé en plan, un moment de revanche symbolique : la conversion d'un symbole de richesse en fantasme de destruction.
On pourrait dire que l'approche proposée cultive des effets déroutants. De toute évidence, le film prend le contre-pied du manichéisme («Us» vs. «Them») ou de l'hagiographie (deuil, hommage et héroïsation des victimes) si souvent rencontrés dans les documentaires commémoratifs américains, pour explorer plutôt les frustrations et les inégalités sociales intra-américaines, lesquelles rappellent que la « liberté » et la « démocratie » supposément attaqués le 11 septembre n'étaient pas, et ne sont toujours pas, particulièrement chez elles aux États-Unis. Le film est donc motivé et invite à un examen de conscience en renvoyant de la société américaine une image négative, marquée par de fortes inégalités sociales, l'affirmation ostentatoire d'un capitalisme sauvage et déshumanisé, en plus d'approcher la difficulté d'intégration des immigrés et spécialement la discrimination dont la communauté musulmane a été l'objet à la suite des attentats. Pour couronner le tout, et ultime pied de nez au discours officiel, le «terroriste» du film n'est pas représenté par l'«agent étranger», mais par une femme blanche de classe moyenne, «cadre» parmi tant d'autres qu'une imagination moins inspirée aurait sans doute placée parmi les victimes des attentats, et non pas dans le rang des saboteurs.