17 février 2010

Man in the Dark

Par Benjamin Mayo-Martin
Présentation de l'œuvre
Ressource bibliographique: 

Man in the Dark de Paul Auster renoue avec un certain réalisme magique que l'auteur de Moon Palace, de Leviathan et de In the Country of Last Things avait mis de côté depuis déjà plusieurs années. Le roman s’ouvre avec le personnage d'August Brill, un vieil homme habitant aux côtés de sa fille récemment divorcée et de sa petite-fille endeuillée par le décès violent de Titus, son petit ami, décapité en Irak. En proie aux souvenirs douloureux d’une mémoire par trop remplie d’amertume, Brill engage son dialogue avec le lecteur par une mise en abyme d’un monde où le 11 septembre n’a jamais eu lieu. Chaque nuit, lorsqu'il ne peut dormir, Brill construit son récit dans le récit, une histoire enchâssée qui raconte les mésaventures d’un magicien pour enfants new-yorkais, Owen Brick, catapulté dans un monde uchronique. Les États-Unis sont aux prises avec une seconde Guerre de Sécession où les attaques du 11 septembre 2001 n’ont jamais eu lieu.  D'abord convaincu qu'il s'agit d'un rêve, Owen Brick entreprend de retrouver son chemin vers la réalité qu'il a quittée à son corps défendant. Lors de son arrivée dans cette Amérique parallèle, Brick devient, bien malgré lui, un colonel de la résistance dont la mission est d'assassiner l'écrivain qui serait à l'origine de cette réalité alternative où les fédéralistes à l'idéologie conservatrice affrontent des États sécessionistes aux visées progressistes. Deux femmes, agentes de la connaissance, révèlent les informations essentielles à l'intellection de ce monde. L'une, Molly, est de bonne foi, mais l'autre, Virginia Blaines, joue un rôle ambigu qui peut faire penser à celui d'une « spider woman », l'archétype de la femme machiavelique du roman policier et du film noir.

Brick meurt alors qu'il se dirige, accompagné de Virginia Blaines, vers la résidence de Brill afin de lui enlever la vie et de mettre fin au cauchemar que son histoire a créé.  Ce passage où le héros du second récit reçoit une balle dans la tête pendant une attaque orchestrée par le gouvernement fédéral de l'Amérique uchronique constitue le pivot de l'histoire et emploie une narration pour le moins ambiguë. À cet instant (p.118), l'Amérique mise en abyme bascule dans le monde du lecteur. C'est également l'unique endroit où nous voyons le personnage de Brill à travers l'oeil d'un narrateur extradiégétique. Brick, la création de Brill, et Brill lui-même se trouvent, pour ce seul instant, au même niveau narratif. La narration trouble la distinction maintenue auparavant entre les deux mondes alors même que le personnage nous donnant accès à ce deuxième monde meurt. Dans la confusion, nous comprenons que Brill se sera inspiré des faits marquants de sa vie pour mettre en scène la mise en abyme et établir les contours des personnages qui la peuplent. Suite à la mort de Brick, Brill s'épanche sur son passé. Il relate de nombreuses anecdotes, toutes plus ou moins liées soit à la guerre soit à l'amour pour conclure son récit par l'évocation de l'exécution de Titus dans le conflit armé en Irak. Chaque personnage et souvenir évoqués pendant la journée par Brill peuvent, de près ou de loin, inspirer un épisode du récit enchâssé—épisodes réactualisés et esthétisés dans le récit enchâssé de manière à rendre les rencontres et les péripéties de Brick beaucoup plus surprenantes que celles vécues par Brill. Le récit que fait Brill de Brick se fait la nuit, il prend la place des rêves que ferait Brill sans son insomnie: ce qui attribue à ces passages un lustre un peu plus achevé que les anecdotes diurnes de Brill.

Ce roman d’Auster s’inscrit définitivement dans le prolongement de son Œuvre, mais dépeint cependant un monde de plus en plus noir et de plus en plus absurde. Les clins d’œil d'Auster à ses œuvres antérieures tout comme à ses personnages précédents sont présents, mais sans que ceux-ci n’empêchent le néophyte de saisir l’essentiel du récit en cours. Les sujets abordés ici par Auster vont de la critique acerbe des politiques de son gouvernement aux sujets plus généraux tels la vieillesse, la famille, le mariage, le deuil et le désenchantement.

Précision sur la forme adoptée ou le genre: 

Récit à la première personne doublé d’une mise en abyme uchronique.

Précision sur les modalités énonciatives de l'œuvre: 

Narration à la première personne à focalisation interne doublée, dans la mise en abyme, d’une narration à la troisième personne à focalisation interne.