La série Ex Machina est une oeuvre difficile à classer. Elle critique la portée effective du travail de super-héros à plusieurs reprises par la mise en scène de situations où les interventions de The Great Machine, mues par de bonnes intentions, occasionnent des dommages collatéraux importants, mais elle fait l'éloge des super-héros lorsque ce même justicier incompétent parvient à sauver la vie de milliers de personnes en enrayant partiellement les attaques terroristes du 11 septembre 2001. En exposant les jeux de couloirs et d'influence de la politique, la série affecte un certain cynisme face aux processus démocratiques et décisionnels du monde de la politique municipale et des liens qu'elle entretient avec le gouvernement national, mais le maire de New York, Mitchell Hundred, veut d'abord et avant tout le meilleur pour ses concitoyens, et tous les compromis et tractations qu'il effectue dans l'exercice de ses fonctions visent en fin de compte le bien commun. Les ambiguïtés sont légion dans l'univers imaginé par les artistes Brian K. Vaughan et Tony Harris.
Il en va de même pour ce qui est de la représentation, éminemment fictive, des attentats du 11 septembre. La destruction totale a été évitée de justesse, mais le geste de Hundred est converti en capital de sympathie qu'il n'hésite pas à employer à l'occasion lors de moments de tension politique. Il est assez facile de faire le lien entre la reprise des événements du 11 septembre par Hundred et l'exploitation de la tragédie par Georges W. Bush afin d'accentuer le contrôle sur sa population et les invasions de pays étrangers au nom d'une cause présentée comme juste et valable. Comme, dans l'univers d'Ex Machina, le lecteur, conscient des motivations du maire de New York, peut passer outre sa réaction de cynisme face à la reprise instrumentalisée d'une attaque terroriste en vertu des intentions internes du politicien, on peut penser que la série voudrait par analogie nous amener à croire en un bienfondé de la part du président Bush fils. Rien n'est moins certain, en raison de l'ambiguïté morale qui règne sur la série.
Au final, Ex Machina utilise un univers parallèle fantaisiste afin d'interroger les dimensions politiques de l'après-11 septembre de manière complexe et intelligente. Il n'y a rien de dogmatique ou d'un moraliste unidirectionnel dans le traitement des événements du 11 septembre et de leur reprise. Évidemment, la série ne se concentre pas que sur le 11 septembre et ses répercussions : les intrigues politiques et policières sont nombreuses dans cette longue série dont la publication s'est étalée sur six ans. L'une des forces de l'écriture de Vaughan tient dans sa capacité à enchaîner les retournements de situation, qui nous amènent à reconsidérer nos opinions initiales à propos d'une crise politique quelconque. En ceci, Ex Machina met en place les cadres d'une réflexion personnelle des plus intéressantes face aux répercussions politiques réelles des attentats du 11 septembre, en essayant de nous éloigner de deux réactions instinctives un peu faciles, soit le cynisme absolu et l'absolution complète. La réalité complexe de l'univers de fiction d'Ex Machina reflète la réalité non moins complexe de notre propre monde.