29 novembre 2007

Crash

Par Jean-Philippe Gravel
Présentation de l'œuvre
Ressource bibliographique: 
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Los Angeles, de nos jours : sur une période de 36 heures, Crash entrecroise le parcours d'une quinzaine de personnages d'origines, de milieux et de professions diverses. Le tout débute un soir dans la ville, lorsque le procureur Rick Cabot (Brendan Fraser) et sa femme Jean (Sandra Bullock) se font voler, en pleine rue et à la pointe du fusil, leur véhicule par deux jeunes noirs (Laurenz Tate et Ludacris), qui travaillent pour un trafiquant de voitures volées. Un peu plus tard, un policier raciste, l'officier John Ryan (Matt Dillon), croit intercepter le véhicule volé et fait subir une fouille humiliante à l'épouse de son conducteur, un réalisateur de télé afro-américain (Terrence Dawshon Howard). Dégoûté par ce qu'il a vu, le partenaire du policier, une jeune recrue (Ryan Philippe), est dissuadé de porter plainte par son supérieur cynique, qui lui propose plutôt de trouver un prétexte pour faire ses rondes seul. Peu après, la femme du procureur, traumatisée, décide de faire changer les serrures de sa maison dès son retour chez elle, mais s'inquiète aussitôt que le serrurier hispano-américain engagé pour la tâche ne fasse partie d'un «gang» et ne profite de son travail pour cambrioler ses anciens clients. On apprendra pourtant que ce dernier (Michael Pena) est un honnête père de famille qui vient tout juste de s'installer dans un quartier tranquille de Los Angeles après qu'une balle perdue ait traversé la chambre de sa fille de six ans. Son métier l'emmènera par la suite dans le commerce d'un marchand iranien (Shaun Toub), homme doublement mal intégré dans sa culture d'adoption parce qu'il comprend mal l'anglais et que son origine l'expose à des commentaires racistes. Aussi, lorsque le serrurier explique au marchand iranien qu'il doit faire remplacer la porte arrière de son commerce, celui-ci croit qu'il veut l'escroquer, et lorsque son magasin est de nouveau saccagé par des vandales, il cherchera à retrouver le serrurier pour régler ses comptes avec lui. D'une rencontre de hasard et d'un malentendu — souvent explosif — à l'autre, Crash déploie un écheveau d'intrigues qui brosse un portrait des multiples visages que peut prendre l'intolérance, spécialement raciale, dans un milieu cosmopolite comme Los Angeles, lequel prend aisément l'allure d'un microcosme des tensions qui habitent la société états-unienne de l'après-11 septembre.

Précision sur la forme adoptée ou le genre: 

Crash est un long-métrage de fiction pouvant aisément entrer sous la rubrique du « drame social », du « drame psychologique ou de la chronique ; cependant, l'effet cumulatif de ses histoires enchevêtrées lui donne plutôt l'allure d'une fable urbaine ou d'une allégorie.

Précision sur les modalités énonciatives de l'œuvre: 

À l'instar des films tels que Magnolia (P.-T. Anderson, 1999) ou Short Cuts (R.Altman, 1993), Crash est un film choral, orchestrant coïncidences et intrigues autour du thème de l'intolérance. Ce faisant, il paraît évident que le cinéaste (qui est aussi coscénariste du film) a voulu éviter les pièges du prêche moralisateur et édifiant, quoiqu'on puisse se demander s'il a réussi. Car la méthode de Haggis se révèle assez simple : en somme, il s'agit de faire en sorte que chacun des personnages ait droit à au moins deux scènes. Tandis que l'une présentera le personnage sous un éclairage désavantageux, l'autre se chargera de lui apporter un moment de rédemption ou d'épiphanie, et pas nécessairement dans cet ordre. Ce faisant, le film exerce sur son spectateur un intéressant jeu de manipulation, puisque les attentes qu'a conditionnées en lui la «première» apparition du personnage sont généralement démontées par la scène suivante : le policier raciste peut être capable d'héroïsme et d'attention, le marchand iranien peut être à la fois une victime pitoyable et un individu irascible et borné, des personnages doués de conscience morale peuvent être poussés dans des situations lourdes de conséquences. Aussi, au cours de cette expérience de bruit et de fureur qui se veut plus viscérale qu'intellectuelle, le spectateur, déjoué sans arrêt dans ses attentes, est appelé à ressentir lui-même les impasses où mène l'ignorance de la plupart des personnages, lesquels sont très souvent coupables d'oblitérer la figure de l'autre derrière leurs préjugés raciaux. Mais si Haggis cherche à prouver ici que la réalité qu'il dépeint n'est jamais ni entièrement noire, ni entièrement blanche, c'est surtout qu'elle semble ici passer de l'un à l'autre, ce qui, en fait, réduit beaucoup le potentiel de sa démonstration pour la nuance.