L'un des processus de mythification les plus évidents dans Constat d'accident, comme d'ailleurs dans toute l'œuvre de Paul Auster, est moins celui des attentats terroristes que celui de la ville de New York. En effet, si les événements du 11 septembre sont spécifiquement abordés, ils ne le sont pas directement, mais à travers leurs effets sur la ville. On ne trouvera donc pas dans le recueil la représentation d'avions s'écrasant dans les tours, d'incendies infernaux, de corps tombant et se désintégrant au contact du sol, de terroristes assoiffés de vengeance ou de talibans possédés d'une fureur divine. On aura plutôt la vision d'une ville mutilée, ses habitants terrassés par la douleur, le deuil, l'angoisse et l'incompréhension. Les attentats sont ramenés à l'échelle humaine, celle de la population de la ville. Auster consacre plusieurs pages à décrire cette population. Selon lui, New York reste fondamentalement une ville d'immigrants qui pourrait servir de modèle de pacifisme à toute autre cité du monde : « Avec quarante pour cent de notre population actuelle née en pays étrangers, nous constituons un échantillonnage du monde entier. C'est un pot-pourri ethnique surpeuplé et les risques de chaos sont énormes. Personne ne soutiendrait que nous ne sommes pas confrontés à une multitude de problèmes, mais si vous pensez à ce dont les différences ethniques ont été cause dans des villes comme Sarajevo, Belfast et Jérusalem, New York ressort comme un exemple lumineux d'ordre et de paix civile. » (p. 99) Ailleurs, ce sont à des individus que l'auteur donne la charge de transmettre le sentiment commun de la ville : la voisine de son coiffeur qui parlait une heure auparavant avec son gendre coincé au cent septième étage du WTC, sa fille ayant passé en métro sous les tours juste avant la catastrophe, et même son ami Art Spiegelman, chargé de produire la couverture du New Yorker alors que personne n'est capable de pensées cohérentes. Le passage le plus probant en rapport à la mythification est celui où la ville est littéralement anthropomorphisée : « Dans presque chacune de leurs histoires, New York n'était pas seulement la toile de fond des événements rapportés, elle était le sujet même de l'histoire. New York la démente, New York l'inspiratrice, New York la grincheuse, New York la laide, New York la belle, New York l'impossible » (p. 98). On pourrait même pousser l'analyse jusqu'à faire remarquer l'analogie entre la métropole et ses sans-abris. En effet, le texte précédant immédiatement les « Notes dans le désordre » est un appel à la tolérance envers ceux qui ne possèdent pas de toit sur leurs têtes. Dans « Réflexions sur une boîte en carton », il avance que les sans-abris ne se retrouvent bien souvent dans cette situation que par malchance et que cette malchance peut frapper n'importe qui à n'importe quel moment et les priver du confort que nous croyons tous acquis aux gens sains d'esprit. L'ironie dans la juxtaposition de ces deux textes fait transparaître un message éloquent de la part de l'auteur: la ville de New York s'est rapidement « assainie » sous la tutelle du maire Rudolfo Giuliani mais avec la chute des tours jumelles, c'est en quelque sorte son toit qu'elle perd, en même temps que sa raison. La ville est maintenant pareille à ses sans-abris : le malheur l'a frappée, elle doit maintenant composer avec un sentiment d'insécurité constant. Dans son dernier texte, intitulé « NYC = USA », Auster entend poser une ultime égalité, celle de la ville de New York avec l'ensemble des États-Unis. Puisque la métropole est la personnification de l'idéal américain de démocratie et que le gouvernement du pays a renié cet idéal, New York est devenu le cœur de l'Amérique : « Puisque le président Bush nous a répété à bien des reprises combien il aime peu Washington, pourquoi ne vient-il pas vivre à New York? Nous savons qu'il n'éprouve guère d'amour pour notre ville mais, en s'y installant, il pourrait apprendre quelque chose sur le pays qu'il tente de gouverner. Il pourrait apprendre, en dépit de ses réserves, que nous en sommes le véritable cœur. » (p. 103) La pertinence du recueil Constat d'accident et autres textes en regard de la fictionnalisation du 11 septembre provient d'une cohérence avec la démarche de l'auteur d'élever la ville de New York au rang de mythe. Ceci dénote une volonté d'universaliser le discours sur la tragédie. En effet, il pose la quadruple adéquation individu new-yorkais = population new-yorkaise = ville de New York = États-Unis. Les événements touchant la ville sont qualifiés d'affaire familiale en même temps qu'ils font entrer le monde entier dans le XXIe siècle. L'organisation même des textes du recueil confirme ce mouvement : les textes suivent une structure de progression du singulier vers l'universel. Le premier, « Réponse à une question du New York Magazine », est un souvenir de jeunesse, la vision personnelle de ce que représente la métropole pour l'auteur; le dernier, « NYC = USA » est une dénonciation de la politique malsaine de l'administration Bush et de ses conséquences probables sur l'ensemble du monde. Dans sa façon de représenter les événements du 11 septembre 2001, Auster passe ainsi de l'individuel au social, du local à l'international, du singulier à l'universel, en positionnant toujours son discours sur l'échelle humaine.