« Compter jusqu’à cent » est une recherche du plaisir perdu, durant laquelle les attentats du 11 septembre 2001 à New York surgissent, comme un souvenir retrouvé. Le récit de cette auto-fiction esquisse l’histoire impossible de l’événement. Comment parler de l’impossible, de l’expérience qui n’appartient qu’à nous-même ? Mais, encore : l’expérience est-elle possible ? À travers sa subjectivité radicale, impossible à partager avec l’autre, la narratrice tente de définir son « je », dans le chaos insaisissable du 11 septembre 2001. Le chemin d’accès serait celui du ravissement — nous pouvons penser au « Ravissement de Lol V. Stein » (Marguerite Duras,1964)—, ainsi que de la perte de la réalité. Les deux histoires mises en parallèle, les attentats et le viol d’Anaïs, se rencontrent dans l’abîme de la blessure : le viol. La plaie de Manhattan, le Ground Zero, pour l’une, et la cicatrice entre le nombril et la poitrine, pour l’autre. L’auteure insiste sur le fait qu’il n’y a pas de langue pour crier cette douleur. Elle arrache toute subjectivité au « je ». C’est une langue primaire, hors du monde et sans racine. Pourtant, « Compter jusqu’à cent » existe : l’auteure nous y propose une écriture, un ravissement, un pardon. (Pour une analyse approfondie du sujet, « Écrire le viol », Rennie Yotova, Paris, Editions Non Lieu, 2007). De fait, y aurait-il des correspondances entre l’impossible chaos des attentats du 11 septembre 2001, à New York, et l’impossible à supporter, à l’intérieur de soi-même ? Nous sommes invités à y réfléchir, dans la postface écrite par l’auteure, où celle-ci nous fait part de la généalogie de son texte, expliquant notamment comment elle est parvenue, au travers l’analyse de Jacques Derrida de l’impossibilité de dire l’événement, à tenter, finalement, de dire l’indicible. (c.f. Jacques Derrida, «Une certaine possibilité impossible » dans Dire l’événement, est-ce possible ?, Gad G. Soussana et A. Nouss (dir), Montréal, L’Harmattan, coll. « Esthétiques », 2001.)