L’œuvre s’avère à cet égard hautement pertinente, saisissant sur le vif un événement qui allait amorcer, historiquement, un virage paradigmatique de première importance. Le lecteur se reportera au texte d’André Habib, «Terrains battus : reconquête fictionnelle ou dommages au réel » (http://www.horschamp.qc.ca/article.php3?id_article=81) pour relever la tension qui œuvre ici entre, d’une part, la relation d’un événement tragique qui se veut assez vive pour soutenir une impression de réalisme et de captation directe, et, d’autre part, la «domestication» de ce «moment de vérité» par la rhétorique fictionnalisante qui l’enrobe et court-circuite en partie son impact traumatique : adoption d’une structure dramatique en trois actes, motif de la quête, typage héroïque des personnages, orientation didactique du commentaire off, épuration de la bande-son, etc. Comme pour la plupart des documentaires grand public (notamment ceux de Michael Moore), la captation d’un événement d’une telle portée met en question les rapports de l’image avec la vérité et accuse particulièrement la porosité, la fausse opposition, de ce qui se classe hâtivement sous l’appellation de fiction ou de documentaire.Remarquons, pour finir, comment le film permet d’observer la rapidité avec laquelle se cristalliseront quelques tendances majeures du discours portant sur les attentats et ses suites. Si, à ce titre, la première frappe est d’abord cause d’une grande confusion, la seconde précise l’enjeu : «this is war!» (répète Tony médusé devant le téléviseur de la caserne). Les extraits de bulletins radiophoniques suivent ce même mouvement, de l’incapacité à nommer l’événement à la reconnaissance d’un acte terroriste diaboliquement orchestré, l’annonce éventuelle de l’attentat contre le Pentagone confirmant cette idée. L’éveil patriotique de la ferveur guerrière, bien sûr, est également symbolisé par l’indignation outrée de Tony, qui se dira plus tard prêt à tuer si sa patrie le lui demande.La scène des retrouvailles à la caserne, où les pompiers échangent leurs impressions sur ce qu’ils ont vu, est fertile sur ce point. L’analogie avec les films catastrophe abonde, naturellement, mais la poignée de pompiers qui comparent la façon dont les tours se sont effondrées à un «travail de démolition» («it was just like demolition work!») ignorent sans doute le bel avenir que connaîtra cette analogie chez les «théoriciens de la conspiration» pour qui les tours n’auraient pu s’effondrer si rapidement, de haut en bas, sans le secours de quelques explosifs installés à même la structure des bâtiments.Ainsi commence le bruit de fond de l’interprétation sur fond d’indétermination du sens.