Dès les premiers chapitres, l'auteur établir sa crédibilité avec une analyse méticuleuse et complète de la problématique du traumatisme collectif et national. Neal écrit dans une langue précise, simple et efficace, et parvient au travers d'un discours facile d'approche à mettre à plat une réalité complète et aux facettes multiples. Il se montre également un historien méticuleux, capable de synthétiser des événements historiques importants en quelques pages. Il effectue des analyses solides de ces événements à partir de l'angle du traumatisme national que ceux-ci ont suscité.
Il est donc étonnant de constater le biais subjectif à peine voilé dont Neal fait preuve dans son essai portant sur le 11 septembre. Une fois établie la chronologie des événements, l'auteur passe aux explications quant aux répercussions sur la population américaine, et ne se gêne pas pour remettre en questions les politiques internes et externes du gouvernement de George W. Bush en réaction aux attaques. Il critique le climat de peur instauré par les codes chromatiques d'alertes fournies par le FBI dans les années suivant les attentats, soulignant que le climat de peur constante et de tension jamais relâchée ne peut qu'être néfaste pour la population américaine (voir section «citation marquante»). De plus, il juge inacceptable l'invasion de l'Irak sous les prémisses de la présence d'armes de destruction massive à partir de preuves douteuses et dont l'existence effective n'a jamais été avérée. Il dénonce également le traitement odieux des prisonniers de guerre au cours de la «War on Terror». Il considère comme paradoxale, voire perverse, la volonté du gouvernement de chercher à faire croire au peuple américain qu'il est envisageable d'éliminer tout potentiel d'attaque terroriste suite aux attentats, puisqu'il croit que les attaques du 11 septembre 2001 sont la preuve par excellence qu'une telle action marginale et kamikaze de la part d'un groupuscule terroriste n'est ni prévisible ni arrêtable. Neal craint de la sorte que de faire entretenir de faux espoirs de sécurité réinstaurée revienne à bercer d'illusions une population qui ferait mieux de se confronter à la nouvelle réalité contemporaine plutôt que de tarder à intégrer cette donne. Il est d'ailleurs aisé de constater combien indéfendables Neal juge les positions du gouvernement américain et des citoyens au patriotisme exacerbé en lisant les questions de discussions clôturant le chapitre (lire section «informations pertinentes à l'oeuvre»), où l'auteur soulève les points mentionnés plus haut, mais demande également aux lecteurs potentiels de justifier sa position, manière d'engranger une réflexion de fond à l'issue de laquelle les présupposés colportés par le gouvernement ne pourront qu'être balayés du revers de la main par tout lecteur consciencieux et honnête avec lui-même.
Je ne peux m'empêcher de penser à Bill Maher, humoriste américain donnant dans le commentaire politique, qui avait déclaré, seulement 6 jours après les attentats, que les terroristes auteurs des attentats du 11 septembre n'étaient pas des lâches, puisqu'il fallait une grande quantité de courage pour voler à sa mort, et que le mode opératoire de l'armée américaine, consistant à envoyer des missiles à plus de 2000km de distance, était un acte plus lâche. Maher a reçu quantité de commentaires négatifs suite à cette déclaration. Cet incident cristallise l'antagonisme marqué ayant suivi les attentats du 11 septembre, renforcé par le président George W. Bush qui avait déclaré «either you're with us or you're against-us». Toute forme de doute, de pensée critique, de remise en question ou d'objection, aussi mineure soit-elle, affichée sur la place publique, était taxée d'anti-américanisme; la demi-mesure faisait partie des victimes des attentats.
Je ne sais pas dans quelle mesure Neal a été audacieux de prendre une position aussi contestataire face au gouvernement américain dans son essai, paru en 2004 et dont la rédaction du chapitre sur le 11 septembre doit remonter à quelques mois précédant la parution de la seconde édition contenant cet ajout. Est-ce que Neal reflète une tendance commençant à s'instaurer à cette époque où les doutes et les critiques pouvaient dès lors être émis plus ouvertement par les penseurs et les intellectuels américains? Est-ce qu'au contraire Neal est un précurseur, dont la rigueur intellectuelle l'a amené à ne pas céder face au consensus patriotique qui régnait dans les temps suivant les attentats? Chose certaine, Neal se range dans le camp des penseurs qui, en adoptant une vision globale des événements, prend une position plus mesurée des répercussions des attentats et ne se range pas aveuglément derrière l'effort de guerre revanchard de son gouvernement.