L'une des thèses principales de Richard Gray consiste à distinguer les productions littéraires qui rendent bien compte de l'importance de l'écrivain confronté à un discours politique qui impose des oppositions binaires rigides. Il analyse plusieurs œuvres qui, comme l'auteur l'affirme: «get it right», lorsqu'il s'agit de guérir du trauma grâce à des occasions de rencontres culturelles, nécessaires aux transformations sociales. (83) Pour Gray, que ces auteurs cherchent des «formes verbales qui dépassent la condition des mots» afin de «parler le silence» (14) dévoile à nouveau ce paradoxe hérité du Romantisme.
En s'appuyant sur le concept de déterritorialisation, Gray analyse quatre œuvres qui ont, à première vue, peu en commun. Twilight of Superheroes, The Reluctant Fundamentalist, Netherland et The Garden of the Last Days, présentent une «impulsion à approcher la crise contemporaine par le détournement», ou la construction rhizomatique, qui permet d'y retrouver certaines «portes de sorties historiques» (55).
Dans un second temps, si certaines œuvres fictionnelles réagissent adéquatement au besoin d'ouvrir de nouvelles avenues interprétatives des événements, d'autres échouent à cet appel. Gray s'en prend aux récits tels que The Road, The Good Life, A Disorder Peculiar to the Country, Falling Man et Terrorist, qui «réactualisent à leur manière le passé immédiat» -selon les termes qu'employaient Bakhtine (30). La réactualisation du passé, combinée à une volonté de domestication, cherche donc à mettre fin au trauma par l'assimilation du non-familier à ce qui est familier. C'est à dire que le repli sur les valeurs sécurisantes familiales ou religieuses sont les portes de secours qu'offrent ces récits et Gray les considère «[as] a symptom rather than [a] diagnosis» (28)
Suite aux deux chapitres «Imagining Disater» et «Imagining Crisis», qui traitent dans l'ordre des «mauvais» et des «bons» écrits sur l'événement traumatique, «Imagining the Transnational» se préoccupe davantage des rapports culturels et de la question identitaire et ce, sur le territoire américain comme dans son expansion extraterritoriale. Faisant un retour sur la littérature qui répondait à la guerre du Vietnam, Gray constate que des effets de «miroirs» et de «métamorphoses», attribuable à la narration qui va et vient entre le passé et le présent, (97) sont mis en récit, notamment dans Monkey Bridge, avec pour objectif de mieux comprendre «the clash between cultures». (97) Suivant sa thèse initiale, alors qu'il stipulait que le premier réflexe devant le trauma est de constamment répéter les mêmes formules: «9/11», «l'événement», «la chute», etc., l'auteur accorde une place favorable à l'œuvre Prisoners car elle donne dans le renouvellement, plutôt que la répétition, lorsqu'elle met en scène des personnages vietnamiens ayant immigré aux États-Unis: problématisant ainsi le rapport transnational américain. Après l'échec de la guerre du Vietnam, que Gray qualifie également de «chute» pour mieux la rapprocher du 11 septembre 2001, le monde «tombe dans une étrange fiction, ou du moins un mythe, dans cet espace qui est la conséquence d'une autre fiction: la rhétorique de mensonges et d'écrans de fumée du gouvernement qui a plongé les personnages dans des éléments destructeurs». (143)
Dernier chapitre de After the fall, «Imagining the Crisis in Drama and Poetry», revient sur la fonction cathartique du théâtre mais également sur sa capacité à informer adéquatement un public ou, tout au contraire, à servir de propagande. Gray donne en exemple Love Unpunished de la «Pig Iron Theatre Company» qui s'articule autour de la commémoration compulsoire et des répétitions de l'inévitable. Outre cette pièce, l'auteur analyse aussi Portraits et Omnium Gatherum, qui se concentrent sur les mots plutôt que sur le spectacle. Du côté de la poésie, l'auteur perçoit dans les textes «efficaces» la même volonté de subjectivation de l'expérience. Le caractère individuel du trauma s'y trouve donc généralement déployé de sorte qu'il rend justice à la crise, «non pas en analysant les causes et les conséquences» (191), mais en offrant humblement sa propre voix, qu'elle soit «satirique, lyrique, déclamatoire, surréelle, élégiaque ou apocalyptique.» (191)
En somme, c'est un immense parcours auquel Richard Gray s'adonne. Il offre une réflexion soutenue par plus d'une centaine de références littéraires, mais également philosophiques et politiques. De nombreuses critiques ont dénoncées Gray lorqu'il parle d'une littérature qui rend compte adéquatement de l'événement (that gets it right). Par delà cette critique qui pointe un certain jugement de valeur de la part de l'auteur, c'est davantage la minutie de son étude et la méthodologie rigoureuse qui s'impose au premier plan. Cet essai demeure incontournable pour quiconque souhaite poursuivre la réflexion sur la littérature américaine au lendemain du 11 septembre 2001.