Présentation de l'œuvre
Deux cahiers : « Printemps, été » et « Été, automne » divisent l'ouvrage de Marie Darrieussecq. L'auteure nous livre en fragments le récit des premières saisons de vie de son enfant, dont elle ne donne d'autre nom dans le texte que « le bébé ». Grâce à quelques extraits isolés on devine que cette naissance précède de quelques mois les événements du 11 septembre, lesquels inspirent certaines réflexions de l'auteure-narratrice sur ceux-ci (voir la section Pistes d'analyse). Le récit est toutefois centré sur ce petit corps qui la fascine. Dans une prose très pragmatique, l'écrivaine s'engage à déployer un maximum de pensées sur le bébé et son désir pour lui, explorant du coup certaines zones sensibles de la maternité. Entremêlant son savoir psychanalytique et des discours populaires sur la question infantile, Darrieussecq tente de répondre – en s'appuyant sur la singularité de son expérience – aux questions posées dès la quatrième de couverture : « Qu'est-ce qu'un bébé ? Pourquoi si peu de bébé dans la littérature ? Que faire des discours qui les entourent ? Pourquoi dit-on ''bébé'' et pas ''le bébé'' ? Qu'est-ce qu'une mère ? Et pourquoi les femmes plutôt que les hommes ? ». Extrêmement attentive à toute manifestation corporelle du corps du nourrisson (ses gestes, ses premiers babils, ses goûts alimentaires, son sommeil, ses sourires, etc.), l'auteure brosse un portrait exhaustif et intelligible de l'être énigmatique qu'elle a (littéralement) sous le nez au moment de l'écriture. Les questions de la mort et de la vulnérabilité traversent l'oeuvre : « Que les enfants soient mortels, c'est ce que l'Occident ne supporte plus, c'est l'ultime lieu du scandale » (p. 53).
Récit
Narration fragmentaire
Modalités de présence du 11 septembre
La présence du 11 septembre est générique dans le texte et se résume à deux extraits.
Les deux allusions aux événements du 11 septembre impliquent un rapport aux médias. Dans un premier temps, c'est la diffusion télévisuelle qui est évoquée; dans un second, c'est un fait divers que l'on imagine provenir d'un journal :
« Je rends visite à ma meilleure amie. Depuis que sa fille est née il y a quelques semaines, la télé est toujours allumée. Les femmes au foyer, les oisifs, les dépressifs, les journalistes et les courtiers en bourse, vont être les premier à voir ce que nous voyons. Un avion s'encastre dans le World Trade Center. Des gens sautent par les fenêtres. Le pentagone est en flammes. Les tours s'effondrent.
Des flash-back d'une passerelle idiote qui y menait, en verre et moquette avec des portes à tambour, nous marchions vite, impatients et fatigués, lors d'une brouille obsolète avec le père du bébé.
Idée irréelle, malaisée, de savoir que le bébé ne connaîtra jamais ces tours, sinon peut-être comme le symbole, la ruine symbolique, de quelque chose que j'ignore encore, un Colisée moderne.
Je me fais du souci pour son avenir » (p. 126-127)
« Je lis que l'un des deux kamikazes du 11 septembre avait laissé pour exigence testamentaire, entre autres délires de pureté haineuse, qu'aucune femme n'assiste à son enterrement. Non aux femmes enceintes! Vive la mort! » (p. 160)
C'est le point de vue d'une mère occidentale qui réfléchit périodiquement aux événements, lorsque ceux-ci rejoignent la thématique centrale de son récit.
Aspects médiatiques de l’œuvre
Aucun son
Le paratexte
« Qu'est-ce qu'un bébé?
Pourquoi si peu de bébé dans la littérature?
Que faire des discours qui les entourent ?
Pourquoi dit-on ''bébé'' et pas ''le bébé'' ?
Qu'est-ce qu'une mère ? Et pourquoi les femmes plutôt que les hommes ? »
Pistes d’analyse
Bien que le texte de Darrieussecq ne traite du 11 septembre que sur un mode mineur, il permet toutefois d'engager une réflexion où interagissent les questions de la mort et de l'enfance, en regard des événements. Ces thèmes sont énoncées dès l'exergue du livre : « Fais-moi des fils ou j'en mourrai. La Genèse » (p. 7). Le thème de l''enfant mort, cet « ultime lieu du scandale » (p. 53), l'auteure tente en quelque sorte de le débusquer : « Aujourd'hui, je tuerai autant de bébés qu'il le faut à l'écriture, mais en touchant du bois » (p. 54). Le type de prose utilisé, plus près du témoignage que de la fiction, entraîne une adhésion complète du lecteur aux propos rapportés. L'auteure est certainement consciente du pouvoir énonciatif que ce procédé implique, et qu'implique les thèmes de la mort et de l'enfance abordés conjointement, ce qui est palpable dans le texte : « Pour prolonger de quelques minutes l'écriture de cette page, je l'ai retourné sur le ventre : il se rendort profondément. Cette position, de nos jours, est déconseillée par les médecins : elle favoriserait ''la mort subite du nourrisson'' » (p. 14-15). Il est loin d'être certain que le 11 septembre soit à l'origine des réflexions de l'auteure sur l'enfance et la mort. D'autres événements sont d'ailleurs évoqués dans le livre : « Un bébé de trois mois est mort hier dans un attentat. Un bébé de trois mois. Maintenant j'entends ce que ça veut dire » (p. 48). Ou encore : « Je le détourne des images d'un attentat, corps en pièces, sang sur la chaussée. C'est pour moi que je fais ce geste : son insouciance n'a plus rien de charmant. » (p. 184) Il y a ceci d'intéressant que le 11 septembre est le seul événement qui est nommé, comme s'il constituait déjà, au moment de la publication, le référent universel des dangers de la vie humaine. C'est à la suite d'une mention aux événement qu'elle dit se faire « du souci pour son avenir » (p. 127). Si la mère, « le bébé », et « le père du bébé » restent innomés tout au long du texte, l'effondrement des tours, lui, porte bien un nom, celui de « 11 septembre ».
« Je lis que l'un des deux kamikazes du 11 septembre avait laissé pour exigence testamentaire, entre autres délires de pureté haineuse, qu'aucune femme n'assiste à son enterrement. Non aux femmes enceintes! Vive la mort! » (p. 160)