30 novembre 2007

Just Like The Movies

Par Jean-Philippe Gravel
Présentation de l'œuvre
Ressource bibliographique: 
Underground Zero.png

Le jour se lève sur New York — et comme à l’ordinaire, à peine s’est-il levé que déjà commence, dans les rues et les stations de métro, le brouhaha de l’heure de pointe... Les hommes d’affaires du Lower Manhattan investissent leurs bureaux — encore inconscients de la menace qui approche. Un engin venu du ciel (avion? ovni?) perce la ligne d’horizon; une ombre s’étend sur New York. Bientôt, la terre vibre — premier fracas; que se passe-t-il? Abasourdis, passants et badauds lèvent les yeux vers le ciel... La panique s’installe... Quelque part, le compartiment passager d’un avion en vol n’est plus qu’une scène de carnage... Dans la ville, ambulances, voitures de police et camions de pompiers se précipitent vers l’épicentre d’une catastrophe inouïe... Pendant ce temps, des individus encagés dans leurs bureaux par les flammes se défenestrent: chutes vertigineuses de corps devenus projectiles, écrasant des voitures à l’«atterissage» dans la panique générale... Alerté dans la Maison Blanche, le président se prépare à agir ou à déclarer quelque chose. Mais les organes de la Défense sont dépassés; ses émissaires écarquillent les yeux comme les autres en face du spectacle. Seconde collision, effondrements ; au ras du sol, une marée de fumée monstrueuse engloutit les rues avoisinantes, absorbant le décor dans une brume opaque... Vue du ciel, New York est défigurée, en ruines. Et pourtant, une aube nouvelle se lève, parfois sur une Amérique partiellement couverte par la fonte des glaciers, mais où le sommet des deux tours pointe encore. Tout cela n’était-il donc qu’un rêve? En quelque sorte, oui — disons, avant que le réel ne s’en mêle, puisque toutes les images que l’on voit dans Just Like The Movies sont tirées de films hollywoodiens (films d’action, films catastrophe ou de science-fiction) qui ont été créés avant les attentats du 11 septembre. Ce faisant, le film donne corps à ce sentiment de «déjà vu» éprouvé par plusieurs devant la chute spectaculaire des tours — en matérialisant, pour ainsi dire, cet « arrière-plan fantasmatique » dont parle Slavoj Žižek (Bienvenue dans le désert du réel, p.39), « sans lequel cet événement n'aurait pas eu une telle portée.» Autre manière de dire qu’avec les attentats du 11 septembre, «la réalité n'a pas fait irruption dans l'image [,] c'est l'image qui a fait irruption dans notre réalité» (Žižek).

Précision sur la forme adoptée ou le genre: 

Court-métrage expérimental. Film de montage.

Précision sur les modalités énonciatives de l'œuvre: 

Film de montage, Just Like The Movies organise son matériau (puisé dans une cinquantaine de films) de manière à respecter le déroulement linéaire d’une journée entière dans la ville de New York, partant des petites heures du matin pour aller jusqu’à l’aube du jour suivant. L’effet produit est celui d’une séquence narrative à focalisation externe à points de vues multiples (grand imagier). Ce faisant, et afin d’assurer à ce collage un déroulement souple, Michal Kosakowski emploie toutes les ressources du montage cinématographique : fondus enchaînés, raccords sémantiques, plans de réaction («reaction-shot»), raccords sur le mouvement, champs-contrechamps, jump-cuts, ralentis, écrans noirs, plans subjectifs. Cependant aucune citation sonore n’est utilisée; l’accompagnement musical de Paolo Marzocchi au piano, rappelant les «ragtime» du cinéma muet, ajoute à la polysémie de l’œuvre par l’intertextualité de la partition, laquelle provoque tantôt des effets de distanciation (ironie, ton moqueur et syncopé du ragtime), tantôt des effets empathiques angoissants (montées et descentes chromatiques accompagnant les plans de chutes de corps ; brefs passages atonaux), qui contribuent au malaise général inspiré par le film.