14 juillet 2008

Augustino et le chœur de la destruction

Par Benjamin Mayo-Martin
Présentation de l'œuvre
Ressource bibliographique: 
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Après Soif (1995) et Dans la foudre et la lumière (2001), Marie-Claire Blais nous convie dans la troisième partie de sa grande ode au monde contemporain à une mélopée où les pensées des habitants d'une île innommée se confondent. La verve de Blais mène le lecteur d'une pensée à une autre et d'un narrateur à l'autre de manière à créer chez lui une certaine confusion. Dans ce « stream of consciousness », le lecteur se voit confronté à de nombreux malheurs de la société actuelle.

Blais soulève, entre autres, les malheurs de l'Afrique moderne par l'intermédiaire d'une médecin qui va au Kenya et y attrape le SIDA. L'auteure évoque également les atrocités du troisième Reich et celles du régime soviétique; la surconsommation occidentale, les changements climatiques qu'elle provoque et les malheurs qui menacent les générations futures.

À une échelle plus microcosmique, Blais fait cohabiter sur son île des gens de toutes classes et de toutes origines qui y vivent des malheurs ou des joies. Dans cette singulière mélopée, une petite fille d'une famille bien nantie se fait abuser par un pédophile, un jeune garçon d'un quartier démuni devient kamikaze, une femme se retrouve seule après que son mari l'ait quittée pour un homme, un jeune travesti qui répond au nom de Petites Cendres se prostitue afin de combler son manque polytoxicomaniaque et un jeune garçon qui à prime abord a tout pour lui est envoyé dans un camp d'été pour les malades pulmonaires chroniques.

Ce sont surtout Samuel et les réminiscences de son esprit, telle la Vierge aux sacs évoluant dans un Manhattan postapocalyptique, qui retiennent notre attention. Samuel, un danseur contemporain, remet en scène la tragédie du 11 septembre dans une chorégraphie dirigée par Arnie Graal. Les événements s’inscrivent dans son corps ainsi que dans ses pensées et proposent au lecteur une vision très intimiste de ce jour fatidique. La Vierge aux sacs ainsi que Tanjou sont tous deux des fantasmagories de l’esprit de Samuel. Ce sont des personnes dont il a perdu la trace et dont il fait revenir à lui le souvenir en les inscrivant dans la journée des attentats. Il leur donne corps dans un monde qu’ils ont quitté et imagine leurs derniers instants dans son petit studio de Manhattan où, sans cesse, il voit des avions décoller de sa table à dîner pour atterrir sur son lit ou s’écraser ailleurs.

Dans cette forme débridée qu'adopte Marie-Claire Blais, le lecteur est emporté dans les pensées et les dialogues de nombreux personnages sans jamais se retrouver face à un centre focalisateur. Les pensées enchevêtrées de chacun peignent un portrait bien sombre du monde dans lequel nous vivons. Par le biais d'une savante utilisation de la langue, l'auteure fait basculer le lecteur dans une symphonie haletante d'un quotidien concentré. En ne reprenant que rarement son souffle, la narration tisse une large mosaïque du tissu social moderne et des imaginations de chacun.

Précision sur la forme adoptée ou le genre: 

Roman.

Précision sur les modalités énonciatives de l'œuvre: 

L'œuvre est un roman polyphonique avec une contrainte de ponctuation. Le roman se présente comme un seul paragraphe aucunement stratifié. De plus, les points sont très peu fréquents: sur un roman de 301 pages, nous dénotons environ 8 phrases.